- Les baleiniers de Saint-Vincent-et-les-Grenadines (SVG) chassent d’ordinaire de petits cétacés comme les baleines pilotes, les orques et les dauphins.
- Les recherches préliminaires indiquent que la viande des petits cétacés chassés à SVG pourrait contenir du mercure.
- SVG est le seul pays des Caraïbes dérogeant au moratoire sur la chasse commerciale des grands cétacés de la Commission baleinière internationale, ce qui octroie au pays le droit de chasser un petit nombre de baleines à bosse chaque année.
Des baleiniers de Saint-Vincent-et-les-Grenadines ont récemment capturé quatre orques, ce qui soulève des inquiétudes quant à l’impact sanitaire de la consommation de viande de cétacés. L’exemption du pays à l’interdiction internationale de la chasse commerciale de baleines est à nouveau remise en question.
Le 12 juillet 2015, des chasseurs de Barrouallie, ville située sur l’île principale de Saint-Vincent, ont capturé quatre orques (Orcinus orca), selon le rapport de I-Witness News. Les baleiniers ont déclaré au journal que les animaux mesuraient 12 m, 8,8 m, 6,7 m et 5,5 m.
La chasse aux petits cétacés comme le dauphin, le marsouin, l’orque et la baleine pilote (Globicephala macrorhynchus) est pratiquée par les habitants de Barrouallie depuis le début du XXe siècle. Aux Caraïbes, il existe au moins une autre localité où ce type de chasse est pratiqué, mais les experts déclarent ne pas en connaître l’échelle et les conséquences pour la préservation des cétacés.
Russel Fielding est professeur auxiliaire en études environnementales à l’Université du Sud, Sewanee, Tennessee, États-Unis ; il a dédié sa thèse doctorale aux pratiques de chasse aux cétacés de la communauté. D’après lui, les rapports des baleiniers de Barrouallie indiqueraient au total plusieurs centaines de petits cétacés chassés par an.
M. Fielding explique dans un mail à mongabay.com qu’à ce jour, il n’existe aucune preuve des conséquences de la chasse par les habitants de Barrouallie sur la population de cétacés.
« La population de la plupart, voire de l’intégralité des espèces de cétacés des Caraïbes est inconnue. Estimer les conséquences d’une opération de chasse comme celle de Barrouallie est alors très difficile, » explique-t-il. « Le mieux que je puisse faire avec les données actuellement disponibles est de comparer le rapport effort-prise : si capturer le même nombre de cétacés demande plus de bateaux et de jours en mer, cela indiquerait un déclin de la population. Or, cela n’a pas été constaté. »
M. Fielding a commencé à étudier la chasse aux baleines pilotes à Barrouallie en 2008 ; il déclare être parti chasser avec les baleiniers des dizaines de fois. Bien qu’il n’ait pas participé à la dernière chasse aux orques, il se trouvait à Saint-Vincent à ce moment-là ; il a pu échanger avec les harponneurs et observer la viande, la graisse et les dents quelques jours après.
Les orques ne sont pas les seuls cétacés chassés à SVG
La Commission baleinière internationale (CBI) a adopté une interdiction internationale de la chasse commerciale de grands cétacés en 1986, mais cette mesure ne régule pas la chasse de petits cétacés, comme celle des orques qui a eu lieu récemment. Cette prise a tout de même attiré l’attention sur SVG en tant que nation pratiquant la chasse aux cétacés à qui ferait une exception controversée à l’interdiction de la CBI.
Les baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) sont la cible des baleiniers de SVG depuis les années 1870, où la chasse commerciale de baleines a fait ses débuts. Un siècle après, les exportateurs d’huile de baleine ne sont plus en activité, mais l’île de Bequia continue, à moindre échelle, de chasser la baleine à bosse pour sa viande et sa graisse, principalement à des fins de consommation domestique.
Depuis 1987 à SVG, la chasse baleinière de subsistance aborigène est contingentée par la CBI, ce qui autorise les peuples indigènes à continuer de chasser un petit nombre de baleines chaque année malgré l’interdiction de chasse de grands cétacés.
De nombreux militants opposés à la chasse critiquent l’exemption de SVG, qui est supposée permettre aux habitants de continuer à pratiquer des activités culturelles traditionnelles, car la chasse aux cétacés est assez récente dans l’histoire du pays. Selon eux, même le contingent relativement bas de SVG suffirait à nuire aux populations de cétacés.
D’après les données de la CBI, au fil des années, les baleiniers de Saint-Vincent-et-les-Grenadines ont capturé ou blessé un total de 38 baleines à bosse ainsi que deux rorquals de Bryde (Balaenoptera brydei), ces derniers illégalement visés.
Les bureaux du commissaire de la CBI à SVG et le chef de la division des pêches de SVG n’ont pas souhaité commenter. Ces 30 dernières années, SVG s’est pourtant battu pour maintenir son contingent à chaque renouvellement, soit tous les cinq à six ans. Plus récemment, lors de la réunion de 2012 de la CBI, le pays a présenté une déclaration de ses besoins, dans laquelle il défend la nécessité du contingent pour des raisons culturelles, économiques et de subsistance.
Le texte explique notamment que « les baleiniers sont admirés, car la chasse aux cétacés est une tradition ancienne à Bequia qui requiert habileté et courage. Les habitants de l’île tirent fierté de leurs chasses fructueuses et accueillent avec plaisir cette viande et cette graisse dans leur régime alimentaire. »
D’après le document, la viande issue des chasses de Bequia substitue aux protéines animales importées : « Avec la viande de deux baleines, le pays économise 7 % du coût des importations. Ces économies, faites grâce à la production de nourriture locale, sont d’une importance cruciale pour les îles qui ne sont pas autosuffisantes en denrées alimentaires. »
La CBI a trouvé cette déclaration de besoins suffisamment convaincante pour renouveler le contingent de chasse baleinière de subsistance aborigène de SVG et lui permettre de capturer jusqu’à 24 baleines à bosse entre 2013 et 2018. Ce quota sera soumis de nouveau au vote en 2017.
Les militants anti-chasse répliquent que la chasse aux cétacés est une pratique encouragée par des pêcheurs opportunistes, et non la tradition. Ceci irait à l’encontre des intentions de la CBI de soutenir les populations indigènes qui pratiquent la chasse de subsistance depuis longtemps et de façon ininterrompue, ou possédant des besoins nutritionnels impérieux en viande de cétacé.
Sue Fisher est consultante en faune et flore marine auprès de l’Animal Welfare Institute ; elle explique dans un mail pour mongabay.com que lorsque la CBI a accordé son contingent à SVG en 1987, le pays avait alors déclaré que les opérations de chasse de Bequia cesseraient après la mort du dernier harponneur. Depuis, la CBI a renouvelé le contingent du pays sept fois.
En 2002, deux ans après la mort du dernier harponneur, la CBI a été jusqu’à doubler le quota de SVG.
D’après Mme Fisher, le Japon, qui demeure très optimiste quant à la poursuite de ses activités de chasse aux cétacés, a suffisamment soutenu cette pratique pour faire renouveler le contingent de Bequia plusieurs fois.
« Sans le soutien continu du Japon à l’adhésion et à la présence [à la CBI] de certains pays (essentiellement d’Afrique occidentale, des Caraïbes et du Pacifique sud), Bequia n’aurait probablement pas assuré un nombre suffisant de votes, soit une majorité aux 3/4, pour garantir le renouvellement du contingent lors des dernières réunions », explique-t-elle.
SVG n’est pas le seul pays à contourner l’interdiction de chasse. L’Islande et la Norvège ont formulé des objections officielles à l’interdiction de la CBI et poursuivi leurs activités de chasse commerciale ; l’Islande et le Japon ont également poursuivi leurs activités sous couvert de « recherches ».
Pour ce qui est de la chasse de cétacés de plus petite taille conduite par SVG (notamment les quatre orques tuées récemment), Mme Fisher explique qu’il se pourrait qu’on ne connaisse jamais exactement leur impact sur la faune locale à cause de la population en déclin et des données de captures. Elle ajoute cependant qu’abattre « un nombre discret d’orques pourrait bien avoir des conséquences sérieuses sur la préservation. »
Elle ajoute : « A ma connaissance, il n’existe aucune justification nutritionnelle à la capture de ces orques, étant donnée la disponibilité d’autres ressources à Saint-Vincent ; je ne crois pas non plus que la chasse ait été menée en vertu du patrimoine culturel. »
Un risque sanitaire ?
Reste à savoir si les prises de SVG constituent une source saine de nourriture pour ses habitants appauvris. Les travaux actuels de M. Fielding portent sur le mercure et les autres contaminants environnementaux que ses confrères et lui ont trouvés dans la viande et la graisse de baleines et dauphins. D’après lui, les données préliminaires mettent en évidence un taux élevé de mercure dans les petits cétacés de Barrouallie.
Les effets du mercure sur les cétacés ne sont pas très bien connus, mais c’est un neurotoxique connu pour l’homme. Cependant, M. Fielding a rapidement ajouté qu’on ignore si les prises de Barrouallie constituent une menace sanitaire.
Il ajoute : « Si ces contaminants sont présents en grandes qualités et si les habitants consomment de nombreux produits alimentaires issus de la chasse aux cétacés, il pourrait y avoir un éventuel risque sanitaire. »
« Si l’on finit par découvrir des taux tellement élevés que le ministère de la Santé de SVG cesse de recommander la consommation de ces produits, les effets se feront ressentir à Barrouallie. » La chasse aux cétacés est fortement ancrée dans la ville surnommée « Blackfish Town », blackfish étant l’appellation locale des baleines pilotes.
« L’économie de Barrouallie repose en grande partie sur les opérations de chasse à la baleine et au dauphin. Culturellement, c’est la seule chose qui distingue cette bourgade à Saint-Vincent » ajoute-t-il enfin.