Un pêcheur harponne un poulpe dans le sud-est de Madagascar. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
Les interdictions de pêche, pour la protection de la vie marine, ne sont pas toujours les bienvenues aux yeux des communautés qui vivent de la pêche. Au sud-est de Madagascar, quelques villages du sud-est semblent avoir trouvés une stratégie leur permettant de profiter de ces interdictions. Selon une nouvelle étude publiée aujourd’hui dans l’open journal PLOS ONE, l’interdiction temporaire de certaines zones de pêches aux poulpes chaque année aide à raviver la population de céphalopode et à générer un gain sur les revenus des familles de pêcheurs.
La pêche aux poulpes – plus particulièrement les poulpes de récifs (Octopus cyanea) – est la principale source de revenu des communautés côtières au sud-est de Madagascar. Les pêcheurs, pour la plupart des femmes, attrapent les poulpes sur les plateaux de récifs coralliens pendant la marée basse. Jusqu’à présent, cette forme de pêche ne servait qu’à nourrir les familles, mais depuis quelques années les femmes pêcheurs ont commencées à vendre leurs récoltes aux sociétés commerciales de fruit de mer qui les exportent au sud de l’Europe. Aujourd’hui il y a trop de surpêche et pas assez de prises.
Ces dernières années les acheteurs des marchés sud européens se sont approvisionnés grâce aux villages isolés du sud-est de Madagascar. Cela a permis aux pêcheurs traditionnels de se constituer des revenus, mais on constate que cela a également conduit à la surpêche. Ici les poulpes sont stockés avant d’être exportées. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
En 2004, suivant les discussions tenues entre le groupe de conservation Londoniens Blue Ventures Conservation et plusieurs de ses partenaires, le village de Andavadoaka au sud-ouest de Madagascar a fermé une partie de ses zones de pêche aux poulpes sur une période de 7 mois. Le site fermé se trouve près d’une île barrière à 7 kilomètres au large des côtes. Durant ces périodes d’interdictions, les pêcheurs peuvent pêcher d’autres espèces se trouvant sur le site. Blue Ventures fourni un appui logistique, technique et financier pour ce projet.
« Après la fermeture de ces zones, les pêcheurs attrapaient de plus grosse prises », explique Alasdair Harris, écologiste marin et directeur général de Blue Ventures, à mongabay.com. « la technique a tout de suite eu un effet boule de neige sur les autres communautés qui ont également adoptées la méthode».
Grâce à la popularité des premières interdictions, les communautés de la région ont créées ce qui s’appelle le Velondriake Locally Managed Marine Area (LMMA –Zones maritimes gérées localement à Velondriake), une zone de 1000 km2 dont l’organe directeur supervise les interdictions régulières des zones de pêches aux poulpes. En 2005, le gouvernement Malgache a fermé toutes les zones de pêches aux poulpes de la région du sud-ouest, de mi-décembre à janvier.
Un pêcheur fait sécher des poulpes pour les gens du village d’une île isolée de Madagascar. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
Bien que des stratégies de conservation communautaires similaires apparaissent à travers le monde, leurs efficacités et incidences restent un sujet encore peu étudié.
Dans cette étude, Harris et d’autres chercheurs, cherchent à évaluer si les interdictions périodiques ont une incidence efficace sur la conservation des espèces et l’augmentation des revenus des communautés de pêcheurs.
Afin de concevoir cette corrélation les chercheurs ont enregistré les prises des 25 villages situés dans les zones maritimes gérées localement à Velondriake sur une période de 8 ans, entre 2004 et 2012. Chaque année pendant 2 à 7 mois, les villages laissent au repos un cinquième de leurs zones de pêche. Les sites sont spécifiquement choisis par les résidents.
Pendant les mois de fermeture, les pêcheurs se restreignent à pêcher dans les zones réglementées. Ils peuvent y retourner une fois l’interdiction levée.
Des pêcheurs malgaches marquent les zones de pêche interdites afin de laisser la population de poulpe se reconstituer. Ils offrent du Fanta et du Rhum (jamais de coca, qui est considéré une boisson inférieure) aux ancêtres pour marquer la cérémonie d’ouverture. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
“La réglementation et le contrôle se sont faits localement par les membres de la communauté afin de renforcer les lois locales sur les interdictions » explique Harris.
En analysant les prises de poulpe de 36 zones interdites de pêche l’équipe conclut que les prises ont augmentées de 700 pourcents, c’est à dire 50 kg avant la période d’interdiction contre 405 kg le mois d’après.
Des pêcheurs éparpillés sur une zone de pêche aux poulpes le jour de sa réouverture. Les interdictions de pêches sont devenues de plus en plus populaires dans les communautés de pêche car elles améliorent la récolte de poulpe. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
« On observe que 30 jours après les fermetures des zones de pêche les prises de poulpe augmentes ainsi que leur poids. » selon Gilbert François, directeur général du ministère de la pêche et des ressources marines, dans un communiqué de presse.
L’augmentation en termes de prise réjouit les entreprises d’export également. « Grâce aux interdictions de pêche, les entreprises d’export ont de plus gros poulpes » nous dit Vassant Ramdenee, directeur de seafood business Murex International de la ville côtière de Toliara, dans un communiqué de presse.
D’après l’étude entreprise, les revenus moyens des villages ont presque doublés, on passe de $600 le mois avant la fermeture à $1,400 le mois d’après. « De plus, dans les zones où l’on enregistre le moins de prise illégales, on peut observer une constante de gains positifs et un taux de retour rapide » nous dit Harris.
Une femme rapporte sa prise sur le plateau corallien. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
Les chercheurs ont également rapporté que ni les prises ni les revenus des habitants n’ont diminués dans les zones d’accès libre où les poulpes peuvent être pêchés toute l’année. Les interdictions temporaires ont donc un impact économique bénéfique sur les communautés qui les adoptent.
D’après Harris, cet impact positif est largement dû au fait que les pêcheurs pouvaient malgré tout pêcher sur les 80% de zones de pêches restantes et que les interdictions sont de courtes durées.
Il ajoute également que dans les zones en accès libre « les données suggèrent que les pêcheurs sont à même de pêcher la même quantité qu’avant donc il n’y a pas de carence en terme de débarquement de poissons».
La photographie d’une prise. Selon une nouvelle étude, l’interdiction temporaire de certaines zones de pêches aux poulpes chaque année aide à raviver la population de céphalopode et augmente le taux de prise. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015. |
La popularité de ce programme a eu un effet papillon. Les zones maritimes gérées localement à Velondriake ont répliqué le programme d’interdiction de pêche dans les zones de mangroves afin de laisser le temps à la population de crabes de proliférer. Le comité a ainsi bannit les méthodes de pêches destructives et ont instauré la première zone d’interdiction de pêche permanente sur six, gérés localement également. L’île Maurice a aussi fructueusement instauré une période de deux mois d’interdiction de pêche aux poulpes en 2012.
« Voilà la raison pour laquelle nous sommes si content » dit Harris. « cette espèce est plutôt représentative des résultats, cela aide à changer les mentalités des communautés à propos de la conservation des espèces en leur prouvant que nous allons dans leurs sens plutôt que contre eux. »
« Aujourd’hui nous avons cette énorme circonscription, de femmes pêcheurs principalement, qui plaident pour la conservation des espèces. Quel extraordinaire retournement. »
Une femme pêcheur harponne un poulpe sur le plateau corallien pendant la marée basse. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
Plus tôt dans l’année, au mois d’avril, Harris a reçu par la fondation Skoll de Californie, un Skoll award de $1 25 millions pour récompenser les efforts d’entreprenariat social effectués sur les communautés de pêcheurs à Madagascar.
Harris nous explique que la popularité des interdictions de pêches Malgaches vont dans le sens d’une perspective biologique, les chercheurs avaient prédits que les poulpes de récif réagiraient de manière significatives à cette stratégie de gestion. Dans le sud-ouest de Madagascar cette espèce a une durée de vie de un an, elle grandit rapidement et les femelles donnent naissance régulièrement toute l’année, ce qui laisse le temps à l’espèce de refournir les récifs pendant les fermetures des zones de pêche.
Plusieurs autres espèces à forte valeur commerciale ne réagiraient pas aussi bien aux fermetures des zones de pêches. En 2007, par exemple, une étude du journal Ecological Applications conclue que des espèces comme le poisson perroquet et le poisson chirurgien peuvent prendre plus de deux décennies avant de récupérer de la surpêche, elles nécessitent donc de plus longues périodes de protection.
Une femme pêches des poulpes sur le plateau corallien. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
« La stratégie Malgache peut en revanche fonctionner sur d’autres espèces telles que les crevettes » expliquent Harris. « Si cela fonctionne pour les crevettes, on pourrait changer la façon dont les communautés s’engagent dans la conservation des espèces vivant dans les mangroves ».
« En démontrant qu’une gestion efficace de la pêche peu produire de véritables bénéfices, cette stratégie peut s’avérer être un réel soutient pour la conservation marine locale. » explique un des co-auteurs de l’étude, Daniel Raberinery, membre de Blue Ventures et l’université de Toliara dans un communiqué de presse.
Au large, un banc de corail où les poulpes peuvent être pêchés. Crédit Photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.
Sources:
- Oliver TA, Oleson KLL, Ratsimbazafy H, Raberinary D, Benbow S, Harris A. (2015). Positive catch & economic benefits of periodic octopus fishery closures: Do effective, narrowly targeted actions ‘catalyze’ broader management?PLOS ONE.
- McClanahan TR, Graham NAJ, Calnan JM, Macneil MA. (2007). Toward pristine biomass: reef fish recovery in coral reef marine protected areas in Kenya. Ecological Applications, 17(4), 2007, pp. 1055—1067.
Un pêcheur arpente un plateau corallien à la recherche de poulpe. Crédit photo : Garth Cripps / Blue Ventures 2015.