Nouvelles de l'environnement

L’île Maurice envisage de tuer 18 000 chauves-souris locales au cours d’un exercice d’abattage sélectif « honteux »

  • Le gouvernement mauricien espère que la réduction de la population de chauves-souris sur l’île Maurice aidera à réduire les dommages causés aux récoltes de mangue et de litchi dans les vergers et augmentera les revenus des producteurs de fruits.
  • Les défenseurs de l’environnement trouvent cette décision « inacceptable » car elle n'est pas soutenue de manière scientifique, et risque de placer l'espèce au statut d’espèce en danger.
  • D'après eux, l’abattage des chauves-souris lorsqu'elles sont gestantes ou lorsqu'elles allaitent est contraire à l’éthique et inhumain.

Le gouvernement mauricien a annoncé ses plans de réforme de réduction de 20 pour cent de la population endémique et vulnérable des roussettes noires (Pteropus niger) sur l’île. Le gouvernement mauricien espère que la réduction de la population de chauves-souris sur l’île Maurice aidera à réduire les dommages causés aux récoltes de mangue et de litchi dans les vergers et augmentera les revenus des producteurs de fruit.

L’exercice d’abattage commencera en mi-octobre et durera trois semaines jusqu’à ce que « l’objectif soit atteint » d’après Mahen Kumar Seeruttun, Ministre de l’industrie agricole et de la sécurité alimentaire lors de la sixième Assemblée nationale du Parlement mauricien, qui s’est tenue le 6 octobre dernier.

Mais les défenseurs de l’environnement qualifient ceci d’« inacceptable » et « honteux ».

« Cette réforme est la mesure la plus insensible et la plus non scientifique qui puisse être prise à ce stade, parce qu’elle portera préjudice en même temps aux producteurs de fruits et nuira à la biodiversité locale qui est en danger dans le pays, et cela va coûter cher » dit Vincent Florens, Professeur Associé en écologie à l’Université de Maurice, à Mongabay.

L’abattage sélectif pourrait être catastrophique pour l’espèce locale de chauve-souris, a ajouté l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) dans une déclaration.

Dans la déclaration il est noté que « la mise en œuvre d’un abattage sélectif aboutirait très probablement à une réévaluation de l’espèce « d’espèce vulnérable » à « espèce en voie de disparition » ou « en danger critique d’extinction » sur la liste rouge des espèces menacées établie par l’UICN, ce qui nuira à la réputation de l’île Maurice comme étant chef de file mondial de la conservation ».

Mauritian government plans to cull fruit bats for their alleged role in damaging mango and litchi fruits in orchards. Photo by Jacques de Speville.
Le gouvernement mauricien planifie un abattage sélectif des roussettes noires afin de « réduire les dommages causés aux récoltes de mangue et de litchi dans les vergers. » Photo prise par Jacques de Speville.

L’abattage sélectif est-il basé sur des preuves scientifiques ?

En 2013, le Service de la conservation et des parcs nationaux de l’île Maurice [National Parks and Conservation Service (NCPS) of Mauritius] a estimé qu’environ 90 000 roussettes noires habitaient l’île. Pour Seeruttun, cela indique que les roussettes noires cessent d’être « en voie de disparition » pour devenir une « espèce nuisible ».

Afin de contrôler la population, le gouvernement mauricien planifie un exercice abattage afin de réduire de 20 pour cent les roussettes noires, soit 18 000 individus de l’espèce au cours des prochaines semaines.

Cependant, les experts spécialistes de l’espèce constatent que la procédure utilisée afin d’estimer la population des chauves-souris était viciée, et la portion victime de l’abattage sélectif pourrait être considérablement plus élevée que 20 pour cent. Les experts avertissent qu’un abattage sélectif basé sur ces chiffres inexacts pourrait être catastrophique pour l’espèce locale de chauve-souris.

D’après Ryszard Oleksy, doctorant à l’Université de Bristol au Royaume-Uni, les estimations de chiffres de roussettes noires sont vraisemblablement basées sur le double, sinon le triple comptage.

Oleksy a observé les déplacements des chauves-souris dans la région, et il constate que les roussettes noires migrent sur de longues distances tout le long de l’île. « Elles peuvent changer de juchoir chaque soir et, très souvent, elles volent d’un côté de l’île à un autre en une nuit » . « L’étude du Service de la conservation et des parcs nationaux de l’île Maurice [National Parks and Conservation Service (NCPS) of Mauritius] a été effectué sur une longue durée, par conséquent les mêmes chauves-souris pourraient avoir été dénombrées au Nord de l’île ainsi qu’au Sud quelques semaines plus tard. »

Voilà pourquoi les défenseurs de l’environnement estiment que le recensement de 90 000 chauve-souris est une importante surestimation. Pourtant, cette surestimation est difficile à comprendre car les rapports à ce sujet ne sont pas disponibles, nous dit Florens.

Mauritian fruit bats fly long distances. Photo by Jacques de Speville.
Les roussettes noires parcourent de longues distances. Photo prise par : Jacques de Speville.

D’ailleurs, « aujourd’hui un certain nombre d’agents qui ont participé à ce recensement démographique reconnaissent d’eux-mêmes ce problème de surestimation» a-t-il ajouté.

Au lieu de cela, la plupart des défenseurs de l’environnement estiment que la population de roussettes noires se situe autour de 50 000 individus sur l’île.

En effet, si ceci est le cas, l’exercice d’abattage des 18 000 roussettes noires aboutirait à la mort de 36 pour cent de la population.

« De plus, les gens tuent les chauves-souris de façon illégale sur l’île Maurice » d’après Vikash Tatayah, Directeur de Conservation de la Mauritian Wildlife Foundation et membre du Groupe de spécialistes CSE/UICN des chauves-souris, « à cela ajoutez l’électrocution des chauves-souris sur les lignes électriques chaque année. Ce qui rajoute près de deux mille morts de plus par rapport à l’exercice d’abattage, maintenant vous voyez que l’estimation dont nous parlons est alarmante. »

Combien de dommages les chauves-souris causent-elles ?

Selon le gouvernement, les chauves-souris sont présumées responsables d’une grande proportion des dommages –une proportion élevée à plus de 70 pour cent –causés aux récoltes de fruits comme la mangue et le litchi dans les vergers. Cependant, selon les experts, cette affirmation n’est pas soutenue scientifiquement.

« Où se trouvent les dommages causés par les oiseaux, les rats, les singes, le vent ou les mouches des fruits dans cette étude ? » a demandé Oleksy. « Tous ces animaux-là se nourrissent des fruits de commerce. »

Les résultats préliminaires de l’étude d’Oleksy démontrent que les chauves-souris paraissent endommager pour la plupart, que les arbres mesurant plus de six mètres de haut. Les dommages causés aux arbres moins hauts sont minimes. De plus, ses résultats suggèrent que les oiseaux peuvent causer autant de dégâts aux fruits que les chauves-souris.

Government of Mauritius estimates that bats cause up to 73 percent damage to litchi and mango fruit trees. But conservationists say this assertion is not backed by evidence. Photo from Pixabay.
Le gouvernement de l’île Maurice estime que les chauves-souris causent jusqu’à 73 pour cent de dégât aux manguiers et aux arbres à litchi. Mais les défenseurs de l’environnement disent que cette assertion n’est pas appuyée de preuves scientifiques. Crédit photo : Pixabay.

De fait, l’étude d’Oleksy indique qu’une grange proportion des fruits – environ 20 pour cent – sont endommagés par des causes naturelles, comme le vent ou la surmaturation, ce qui fait que les fruits tombent par terre.

Mais les chauves-souris sont des cibles faciles, car ce sont des animaux nocturnes et les agriculteurs ont peu de contrôle sur elles, dit Oleksy.

« Elles sont très bruyantes quand elles sortent se nourrir en groupe, car elles se battent pour la nourriture et leur place sur l’arbre. » a-t-il expliqué. «Parfois seulement deux chauves-souris sur la même branche peuvent faire autant de bruit que dix. Cela pousse les gens à croire qu’elles viennent en grands nombre la nuit, pour se nourrir de tous les fruits et en repartent avant l’aube et avant de s’apercevoir des dégâts. »

Les chauves-souris ont un rôle important dans l’écosystème – elles sont des pollinisatrices et dispersent des graines. « Ne pas reconnaître leur rôle important est un signe d’échec du plan » nous dit Tatayah.

Bats play important ecosystem functions — they pollinate plants and disperse seeds. “I think not recognizing this is a failure of the plan,” Tatayah said.

L’abattage va contre le bien-être des animaux et les considérations éthiques

Les défenseurs de l’environnement disent que l’abattage sélectif est contraire à l’éthique et inhumain.

« L’abattage est prévu pendant la période où de nombreuses chauves-souris sont soit gestantes, soit allaitantes » affirme Tatayah.

« Tirer sur les chauves-souris pendant cette période de l’année signifiera que beaucoup de petits mourront ou seront blessés. Certaines subiront une sorte d’avortement forcé ou provoqué » a-t-il souligné. Vraisemblablement l’exercice d’abattage se fera au fusil. Les chauves-souris mourront de façon lente et douloureuse. Certaines ne mourront pas et devrons vivre avec des morceaux de balle pendant le reste de leur vie. C’est indéniablement inhumain. »

De plus l’île Maurice n’a pas assez de ressources pour pouvoir prendre soin des petits qui se retrouveront orphelins après la mort de leurs mères, indique Tatayah. « Si 18 000 roussettes noires sont tuées, nous parlons des centaines de roussettes noires orphelines et nous n’avons pas la capacité de prendre soin d’aussi nombreux animaux au niveau actuel de ressources acquises par l’île Maurice. »

Protéger les chauves-souris

Quand il a été contacté par Mongabay pour des détails concernant comment le gouvernement mauricien envisage de mettre en œuvre « l’abattage contrôlé » des roussettes noires, le Ministre de l’industrie agricole M. Seeruttun a répondu dans un courriel : « Je peux vous rassurer que mon gouvernement ne fera rien qui mettra à risque l’existence même de la roussette noire sur l’île Maurice. »

Cependant, les groupes de conservation ne sont pas convaincus et veulent que l’abattage sélectif soit annulé immédiatement. Une pétition en ligne visant l’arrêt de cet exercice a remporté presque 5 000 partisans en l’espace d’une semaine.

Mauritius fruit bats play an important role in the ecosystem - they are important pollinators and help disperse seeds. Photo by Photo by Jacques de Speville.
Les roussettes noires de l’île Maurice jouent un rôle important dans l’écosystème – elles sont des pollinisatrices et dispersent des graines. Photo prise par : Jacques de Speville.

Les résultats d’un sondage consacré aux impressions du public auprès de 560 participants mauriciens, mené par un étudiant de troisième cycle basé à Nottingham Trent University nous informe que plus que 80 pour cent des participants se montraient neutres ou soutenaient la cause des chauves-souris.

« Il est clair que la décision en faveur de l’abattage vient de la pression exercée sur les exagérations des producteurs et/ou de l’industrie » dit Florens. «le gouvernement ignore les preuves scientifiques qui sont fermement en faveur des défenseurs de l’environnement. »

Selon les experts, l’abattage n’est pas la solution. Au lieu de cela, les producteurs devraient adopter d’autres méthodes de protection de leurs vergers.

Une, consiste à garder les arbres de petite taille d’après les experts. Ce but peut être atteint soit en plantant des variétés de fruitiers nains, soit en taillant les arbres.

Placer des filets autour des arbres protégera ceux-ci non seulement des chauves-souris mais aussi des oiseaux et des espèces introduites comme les mynahs, les pycnonotidae et les perruches, explique Florens. Le rétablissement de l’habitat naturel fruitier des chauves-souris est également essentiel.

Si l’exercice d’abattage était mise en œuvre en dépit du manque de preuves sur la base desquelles on peut le soutenir, le secteur de la production alimentaire de l’île Maurice devrait se classer de « destructeur aux espèces menacées » et « nuisible à l’environnement » a déclaré Florens.

« Une campagne d’information devrait également être mise en oeuvre afin d’étiqueter et classer les litchis et les mangues issues de cette production et un appel devrait être lancé localement afin de boycotter ces produits. Cet appel devrait être intensifié à l’international, en particulier dans les pays principaux qui importent ces fruits afin de sensibiliser les importateurs et les consommateurs. »

Traduction révisée par Ombeline Lechanoine

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