Nouvelles de l'environnement

$7 millions pourraient sauver les lémuriens de l’extinction

Un site web peut-il sauver les lémuriens de la planète ?


Indri lemur (Indri indri). Photo by: Rhett A. Butler.

Lémurien Indri (Indri indri). Photo de: Rhett A. Butler.


L’année dernière, les scientifiques ont publié un plan triennal d’urgence lequel, selon eux, pourrait littéralement sauver les lémuriens de la planète d’une extinction massive. D’un cout s’élevant à peine à $7.6 millions, le plan était focalisé sur la mise en place de meilleurs programmes de protection et de conservation dans 30 zones à risque de lémuriens. Cependant, il y avait un point faible : faire un don à des programmes de petite envergure dans l’un des pays les plus pauvres du monde n’était pas vraiment d’une approche aisée. Puis vint Lynne Venart, responsable de la société de design Art Monkey. L’entreprise de Venart, en partenariat avec une multitude des plus importants groupes de protection de l’environnement, lance aujourd’hui le Réseau de Conservation des Lémuriens (Lemur Conservation Network).



« Lorsque j’ai lu le plan d’action relatif aux lémuriens, j’étais vraiment enthousiaste de voir que des scientifiques unissaient leurs efforts afin de les sauver au moyen d’un plan complet, compatible avec les intérêts du peuple malgache, » fit part Venart à mongabay.com. « J’étais personnellement convaincue, mais les donations à des projets individuels requièrent actuellement plus de recherches que l’on ne pense. Le plan nécessitait un guide de financement en ligne facilitant aux gens de faire le pas de faire un don. »



C’est là qu’intervient le Réseau de Conservation des Lémuriens. Le site web permet aux donateurs, y compris les fans de lémuriens qui n’ont que peu à donner, d’apporter leur soutien à la conservation des lémuriens de manière efficace et aisée. Le réseau rassemble plus de 40 groupes de conservation et instituts de recherche, ce qui peut sembler être un Who’s Who des groupes de soutien des lémuriens, mais dont la cible est tout simplement les individus passionnés par cette famille de primates.



The eastern lesser bamboo lemur (Hapalemur griseus) is listed as Vulnerable. Photo by: Rhett A. Butler.
Hapalemur gris (Hapalemur griseus) classé comme Vulnérable. Photo de: Rhett A. Butler.

« Le site donne le pouvoir au supporter individuel de la conservation, » a déclaré Venart. « Il est indéniable que le travail du plan d’action pour lémuriens a besoin de scientifiques et de personnes spécialisées œuvrant sur le terrain à Madagascar. Mais comment toute autre personne se souciant de Madagascar et de la protection des lémuriens peut-elle également apporter son aide ? Le site aide les gens à en apprendre plus sur la situation actuelle de la conservation des lémuriens et ceux qui œuvrent pour les sauver. »



Les utilisateurs peuvent choisir des groupes de conservation en fonction de leur type de travail, à savoir conservation communautaire, recherche, protection de l’habitat, etc., et, dorénavant, les donateurs pourront même rechercher des programmes de conservation sur la base d’espèces spécifiques de lémuriens. Donc, si vous aimez cet aye-aye si merveilleusement bizarre, vous pouvez faire une donation pour le bien de cette espèce vulnérable.



« En réunissant toutes sortes d’organisations d’envergure diverses, cela permet aux gens de choisir par eux-mêmes celle qui les intéresse le plus », a confirmé Venart. « Plusieurs des organisations du Réseau de Conservation des Lémuriens n’ont pas le budget ni le savoir-faire technologique pour promouvoir activement leur travail en ligne, mais cela ne signifie pas pour autant que leur travail est moins digne d’être soutenu. »



Rien de tel qu’un lémurien



Gray mouse lemur (Microcebus murinus), one of the few species listed as Least Concern. Photo by: Rhett A. Butler.
Microcèbe mignon ou lémurien souris (Microcebus murinus), l’une des quelques espèces classées comme de Préoccupation mineure. Photo de: Rhett A. Butler.



Alors, pourquoi les lémuriens ? Eh bien, pour un certain nombre de raisons.



Tous les lémuriens de la planète se trouvent sur une seule ile et dans un seul pays : Madagascar. Leur isolement des autres primates concurrents durant près de 60 millions d’années a permis aux lémuriens non seulement d’y survivre – alors qu’ils s’étaient éteints ailleurs – mais aussi d’évoluer vers une variété stupéfiante d’espèces, adaptées à toutes sortes d’habitats et sources de nourriture.



Aujourd’hui, les chercheurs ont identifié 103 espèces distinctes de lémuriens sur l’ile, un chiffre qui s’est multiplié lors des récentes décennies du fait des tests d’ADN. Et Il est fort probable que l’on découvre encore plus d’espèces de lémuriens.



« Beaucoup de gens pensent que les lémuriens sont de mignonnes, petites et adorables créatures à fourrure, ce qui est une raison parfaitement légitime de soutenir les efforts pour leur conservation ! Personnellement, ce qui m’intrigue le plus c’est comment ils se sont adaptés au fil du temps, évoluant vers plus de 100 espèces hautement spécialisées, » a déclaré Venart. « Nous pouvons en apprendre tellement à propos de l’évolution et l’adaptation des espèces grâce aux lémuriens. »



Arguably the world's most wonderfully weird lemur, the aye-aye. This species is considered Vulnerable. Photo by: Rhett A. Butler.
Indéniablement, le lémurien le plus merveilleusement étrange du monde, l’aye-aye. Cette espèce est considérée comme Vulnérable. Photo de : Rhett A. Butler.



Pourtant les lémuriens sont l’une des espèces les plus menacées au monde. La Liste Rouge de l’UICN considère que 91 pour cent des lémuriens sont menacés d’extinction. Parmi ceux-ci, 48 sont considérées comme Menacées, soit près de la moitié, et 22 espèces sont considérées comme en danger critique d’extinction, soit plus d’un cinquième.



La plus grande menace qui pèse sur les lémuriens est la déforestation et la dégradation de leur habitat. Seuls 20 pour cent des forêts séculaires de Madagascar subsistent, et celles-ci sont menacées par l’agriculture sur brulis, connue localement sous le nom de tavy. Le pays demeure également aux prises avec une crise d’abattage illégal de bois, avec des bucherons qui coupent les arbres de bois de rose a l’intérieur des zones protégées de Madagascar afin de les acheminer clandestinement vers la Chine ou le bois de rose atteint des prix exorbitants. Si les lémuriens constituent le groupe le plus important de l’ile, cette perpétuelle destruction des forêts met également en péril des milliers d’autres espèces, dont la plupart, tout comme les lémuriens, ne se trouvent nulle part ailleurs sur la planète.



D’après le Global Forest Watch, Madagascar a perdu près de 1,3 millions d’hectares de couvert arboré entre 2001 et 2012. Avec une estimation de 17 millions d’hectares de couvert forestier au total –soit 30% du couvert forestier – cela représente une perte totale de plus de sept pour cent des forêts du pays. Il est à noter cependant que cela peut ne pas être complètement imputable à la déforestation, car l’exploitation des plantations forestières peut être inclue dans ces données.






La perte en forêts est signalée en rose alors que les paysages forestiers intacts sont en vert foncé et la dégradation forestière en marron. Image avec l’aimable autorisation de Global Forest Watch. Cliquer pour agrandir.


Le point positif à noter est que la déforestation était a son plus bas en 2012, avec une perte totale d’environ 71,000 hectares. Par ailleurs, durant la même période, le pays a également pu voir une repousse de 407,000 hectares, compensant ainsi une partie de l’ensemble des pertes.


Alors que la destruction des forêts demeure la plus grande menace pour les lémuriens, un problème de plus en plus préoccupant est celui de la chasse, à la fois pour la viande de brousse et pour le commerce illégal des animaux de compagnie. Selon les défenseurs de l’environnement, quelque 28,000 lémuriens sont retirés annuellement de leur habitat sauvage soit pour servir de nourriture, soit pour le commerce des animaux de compagnie, exposant ainsi un grand nombre d’espèces à une forte pression.



L’élément sous-jacent à tout cela est la densité de la population humaine et la pauvreté. 21 millions de personnes habitent à Madagascar (environ la même densité de population que les Etats Unis).Mais, contrairement aux USA, la population y est florissante, avec un accroissement annuel de près de 3 pour cent, et plus de 40 pour cent de la population âgée de moins de 15 ans.



Madagascar est également l’un des pays les plus pauvres au monde. Plus de 90 pour cent de la population vit avec moins de deux dollars par jour, tandis que la moitié des enfants du pays de moins de cinq ans souffre de malnutrition. L’instabilité gouvernementale, avec un coup d’état en 2009, n’a fait qu’empirer la situation.



Pourtant les défenseurs de l’environnement estiment que la protection des lémuriens pourrait en fait permettre d’aider également la population.



Selon Venart, « le travail que nécessite le plan d’action pour les lémuriens ne place pas ces animaux au-dessus de la population. Au contraire, ces organisations travaillent avec la population locale afin de les responsabiliser dans ce combat visant à sauver les lémuriens de l’extinction et par la même sauver les ressources naturelles subsistant dans leur pays. ».



Services rendus par les lémuriens



Children in Madagascar. Scientists say that protecting lemurs, and their forests, could build a better future for Malagasy kids. Photo by: Rhett A. Butler.
Enfants à Madagascar. Les scientifiques affirment que la protection des lémuriens et de leurs forêts pourrait construire un avenir meilleur aux enfants malgaches. Photos de: Rhett A. Butler.



Les lémuriens sont d’une importance capitale pour la population de Madagascar, pas seulement comme le symbole le plus célèbre du pays, mais aussi pour les revenus qu’ils génèrent.



« Les lémuriens sont la poule aux œufs d’or de Madagascar; les touristes ne vont pas venir visiter des forêts désertes, vides de lémuriens, » a déclaré le primatologue malgache, Jonah Ratsimbazafy, Co-Vice-Président du Groupe de Spécialistes des Primates de la CSE/UICN(UICN/SSC).



Même en plein milieu du coup d’état de 2009, lorsque les donateurs étrangers avaient retiré leur argent de Madagascar, les touristes continuaient de venir afin de voir des lémuriens, en dépit de la réduction de leur nombre.



A female mongoose lemur (Eulemur mongoz), listed as Vulnerable. Photo by: Rhett A. Butler.
Lemurien Mongoose femelle (Eulemur mongoz), classé comme Vulnérable. Photo de: Rhett A. Butler.

« Des milliers de familles dépendent des lémuriens pour vivre, » fit remarquer Ratismbazafy.



Actuellement, le pays reçoit environ 200 à 300,000 touristes par an, mais le nouveau gouvernement espère accroitre ce nombre de manière significative.



En plus d’attirer des visiteurs, les lémuriens jouent également un rôle crucial pour l’écosystème. Ce sont des pollinisateurs et des disséminateurs de graines essentiels pour les forêts en péril de Madagascar. Si les lémuriens venaient à disparaitre, cela pourrait entrainer la disparition de plusieurs espèces de plantes et de forêts. Les forêts sont vitales pour la protection contre l’érosion et la préservation des ressources en eau.



« Les lémuriens jouent un rôle crucial dans la croissance et la propagation forestière, et sans eux nous risquons de perdre ces étendues naturelles qui approvisionnent tant de gens en eau pure, nourriture et abris dans les zones rurales de Madagascar, » a déclaré Steig Johnson, conseiller auprès du Réseau de Conservation des Lémuriens. « La sauvegarde des lémuriens signifie également la sauvegarde des moyens de subsistance de la population. »



Enfin, plusieurs des programmes de conservation du pays dépendent de la conservation communautaire, rendant la population locale partie prenante dans la sauvegarde de sa faune et profitant directement à la collectivité. En fait, le nouveau plan de conservation des lémuriens est focalisé sur la conservation communautaire et l’établissement de nouvelles zones protégées gérées par la communauté, ce qui permet non seulement de sauvegarder l’environnement mais aussi d’ouvrir de nouveaux horizons pour le tourisme.



« Les lémuriens sont sans nul doute le symbole le plus distinct du pays à travers le monde, et un atout majeur en termes scientifiques, culturels et économiques. Leur préservation devrait être un objectif hautement prioritaire pour le gouvernement et la société civile à tous les niveaux, » a déclaré Russ Mittermejer, Président du Groupe de Spécialistes des Primates de l’UICN/SSC et Vice-Président Directeur de Conservation International.



Bonne affaire



Pair of Sanford's brown lemur (Eulemur sanfordi)), which is considered Endangered. Photo by: Rhett A. Butler.
Couple de lémurs bruns de Sanford (Eulemur sanfordi), considérés comme espèce menacée. Photo de: Rhett A. Butler.



Le plan triennal d’urgence – s’élevant à $7.6 millions – est également une bonne affaire si l’on considère qu’il pourrait sauvegarder une famille unique de primates. Par comparaison, l’an dernier, en 2010, les donateurs et les gouvernements avaient promis $300 millions afin de sauver le tigre de l’extinction, soit près de 40 fois ce que les défenseurs des lémuriens réclament aujourd’hui.



Bien entendu, lorsque l’on en vient aux histoires de gros sous, les efforts de conservation de la nature se retrouvent bien souvent relégués au bas de l’échelle, largement dépassés par d’autres problèmes. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle les lémuriens – en dépit d’être connus et adorés à travers le monde – demeurent tout aussi menacés de nos jours.



L’un des auteurs du plan d’urgence des lémuriens, Christoph Schwitzer avec la Bristol Zoological Society (Société zoologique de Bristol), a déclaré que c’est un moment décisif pour les lémuriens.



« Le fait est que si nous n’agissons pas maintenant, nous risquons de perdre toute une espèce de lémuriens pour la première fois en deux siècles, » a dit l’un des auteurs du plan d’action pour lémuriens. « On ne soulignera jamais assez l’importance des projets dont nous avons cité les grandes lignes dans le plan d’action des lémuriens de l’UICN. »



Venart a ajouté qu’il est d’autant plus important d’agir maintenant du fait de l’amélioration de la situation politique à Madagascar. En décembre 2013, le peuple malgache a élu Hery Rajaonarimampianin lors des premières élections démocratiques du pays depuis le coup d’état. Pour sa part, Rajaonarimampianin a appelé à un renforcement et un développement des efforts de conservation et à une relance de l’écotourisme comme moyen de sortir la population de la pauvreté.



Grâce au retour de l’aide internationale à Madagascar et au regain de l’intérêt international pour l’investissement commercial dans le pays, il n’est pas de meilleur moment de faire en sorte que ces investissements profitent au pays et au peuple malgache de manière positive, en protégeant les ressources naturelles de Madagascar et en assurant la survie des lémuriens, » a déclaré Venart.



En effet, le destin du peuple malgache et des lémuriens dépend des actes de conservation entrepris aujourd’hui.






Plan rapproché de l’état de la déforestation entre 2001 et 2012 au nord de Madagascar. La perte en forêts est signalée en rose alors que les étendues de forêts intactes sont en vert foncé et la dégradation des forêts en marron. . Image avec l’aimable autorisation de Global Forest Watch. Cliquer pour agrandir.



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