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La forêt de Ndoki est-elle enchantée ou envoutée ? Les écologistes reconnaissent que les pratiques d’exploitation forestière durable sont en recul dans les forêts où évoluent les chimpanzés naïfs

(Cet article fait partie du programme d’aide aux initiatives de reportages spéciaux (Special Reporting Initiatives – SRI) de Mongabay.org et peut être repris sur votre site internet, dans votre magazine, lettre d’information ou journal selon les conditions décrites ici.)


« On arrive sur cette crête, et […] on passe d’une forêt qui a déjà été exploitée à cette zone encore inexplorée… On a l’impression de pénétrer dans un immense territoire sauvage et inconnu ». Citation de Mike Fay tirée du livre Eating Apes de Dale Peterson et Karl Ammann.



C’est ainsi que Mike Fay, grand explorateur et écologiste, décrivit la forêt de Ndoki, située en République du Congo. En effet, jusqu’au début des années 1990, elle n’était qu’une forêt vierge méconnue. La carte de la zone était complètement vide : aucune route ni habitation, rien d’autre que des arbres gigantesques et une faune comprenant larges d’importantes populations de chimpanzés, de gorilles et d’éléphants de forêt.



Ici, l’explorateur a rencontré des chimpanzés qui n’avaient jamais vu d’êtres humains et au lieu de fuir comme ceux qui ont déjà été chassés l’auraient fait, ils examinèrent avec curiosité cette nouvelle créature. Il les a alors qualifiés de chimpanzés « naïfs ».



Ancien zoologiste de la Société pour la Conservation de la Faune (Wildlife Conservation Society, WCS) et maintenant conseillé technique auprès de l’organisme des parcs nationaux du Gabon, M. Fay fut un acteur déterminant dans l’établissement en 1993 de ce qui est aujourd’hui le parc national de Nouabélé-Ndoki (Nouabélé-Ndoki National Park, NNNP). La WCS présente le NNNP et les concessions forestières l’environnant comme une véritable réussite en termes de conservation. Mais ce succès a aussi ses détracteurs.




Les chimpanzés de la forêt de Ndoki sont qualifiés de « naïfs » car ils ne sont pas effrayés par l'homme. Crédit photo : amabilité de Ian Nichols , WCS.
Les chimpanzés de la forêt de Ndoki sont qualifiés de « naïfs » car ils ne sont pas effrayés par l’homme. Crédit photo : amabilité de Ian Nichols , WCS.




En Lingala, le dialecte local, Ndoki peut signifier « magique » ou « maudit ». Selon le contexte, le nom de cette forêt vierge tropicale peut donc signifier « enchantée » ou « ensorcelée ».



Comme l’écrit Dale Peterson dans Eating Apes, Ndoki est « un magnifique ilot de forêt au milieu d’un océan d’exploitations forestières. Ndoki et ses alentours offrent une véritable étude de cas sur la relation passée, présente et future entre l’exploitation forestière et les singes, la conservation et l’exploitation dans le bassin du Congo.»



Le parc national fait plus de 3 900 kilomètres carrés et est réparti sur le nord du Congo, le Cameroun et la République Centrafricaine (RCA). Le NNNP, la réserve forestière de Dzanga-Sangha dans le sud-ouest de la RCA et le parc national de Lobéké au sud-est du Cameroun forment le complexe Trinational de la Sangha. En 2012, ce complexe a été inscrit à la liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. Le site et sa zone tampon s’étendent sur une zone d’un seul tenant de 27 800 kilomètres carrés, soit à peu près la taille de l’État du Vermont ou de la Macédoine. C’est le premier site du patrimoine mondial à se déployer sur trois pays.



Aucun humain ne vit dans le NNNP et certains disent que la forêt de Ndoki est la seule sur Terre à n’avoir jamais été habitée. Les habitations les plus proches sont situées sur trois camps situés à l’extérieur du parc au Congo : Kabo, Loundougou et Mokabi qui sont maintenant des concessions forestières. Puisque le NNNP et ses environs sont considérés comme forêt à haute valeur de conservation par le Conseil de Soutien de la Forêt (Forest Stewardship Council, FSC) les entreprises forestières devraient adopter des mesures spéciales afin d’empêcher une perte de biodiversité injustifiée en instaurant ce qu’on appelle la « gestion durable des forêts ».



C’est dans les concessions forestières comme celles qui bordent Ndoki que la conservation se heurte aux industries extractives. Est-ce que nous pouvons fabriquer nos beaux meubles, parquets, battes de baseball ou encore de cricket pour les pays membres du Commonwealth, à partir de bois durs dont l’abattage n’a pas détruit les lieux de provenance ? Aux premiers temps de la coupe à blanc, ce n’était pas le cas. Après son passage, une entreprise d’exploitation forestière ne laissait derrière elle que des souches, des copeaux de bois et une végétation mutilée. La faune périssait ou migrait vers les zones non-exploitées de la forêt.


Le parc national de Nouabélé-Ndoki se trouve au nord du Congo-Brazzaville. Stephen Blake, WCS.. Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Mais les organisations de protection comme la Société pour la Conservation de la Faune (Wildlife Conservation Society, WCS) se sont efforcées de créer des principes directeurs et des pratiques destinés à éviter la destruction des forêts et l’appauvrissement de la biodiversité dans les concessions forestières commerciales. Elles ont fait leur apprentissage avec le NNNP au milieu des années 90 suite à des plaintes contre des entreprises forestières privées qui encourageaient leurs employés à pratiquer une chasse au gibier non durable, ces derniers allant jusqu’à utiliser les camions de l’entreprise pour acheminer cette viande au marché.



En 1999 la WCS a signé un accord avec le gouvernement congolais et la Congolaise Industrielle des Bois (CIB), entreprise détentrice de détenant la majeure partie des concessions forestières autour du NNNP, visant à lancer un projet de protection de la faune, réduire la chasse au gibier et administrer d’autres activités d’extractions dans cette zone.



L’accord est d’autant plus important que le gorille des plaines occidentales (Gorilla gorilla gorilla), est classé comme en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’UICN. D’après les écologistes, 75% de la population mondiale des gorilles des plaines occidentales évoluent dans la zone étendue de Ndoki au nord du Congo. Du fait que les concessions de la CIB couvrent une large part de cette zone, il est primordiale pour le futur de cette espèce d’y instaurer une gestion durable et fonctionnelle des forêts.



Les camps des exploitations sont souvent les premières installations humaines dans les forêts vierges du Bassin du Congo. Crédit photo : amabilité de Karl Ammann.
Les camps des exploitations sont souvent les premières installations humaines dans les forêts vierges du Bassin du Congo. Crédit photo : amabilité de Karl Ammann.



Quels sont les résultats après 15 ans d’expérience?



La CIB a accepté d’appliquer un certain nombre de recommandations visant à réduire la chasse, à mettre en place d’autres activités) et à établir des plans de gestion pour ses concessions de bois d’œuvre.



WCS a d’abord déclaré victoire : la surveillance des activités et les rapports, publiés montraient la disparition des signes évidents de chasse non durable (avec donc une réduction de l’offre de vente de gibier, l’augmentation de son prix ou encore différentes espèces proposées). A travers ses activités de surveillance et ses publications, WCS a commencé par se féliciter : aucun signe de chasse non durable (avec donc une réduction de l’offre de vente de gibier, l’augmentation de son prix ou encore différentes espèces proposées) n’était évident.



En fait, les densités des populations d’éléphants et de gorilles tendaient à être plus supérieures dans les concessions forestières de la CIB que dans le parc adjacent. En assainissant ses opérations, la CIB cherchait à obtenir la certification du Conseil de Soutien de la Forêt (certification FSC), censée garantir que le bois est coupé de façon durable et respectueuse de l’environnement. En 2006, sa concession de Kabo est devenue le premier site d’abattage certifié FSC en Afrique Centrale. Deux concessions sont venues s’ajouter à la liste en 2008 et 2011.



Selon Mark Gately, directeur du programme Congo de la WSC, la certification FSC apporte de nombreux avantages.



« Les concessions certifiées peuvent exporter vers l’Europe et les Etats-Unis, ce qui n’est généralement pas le cas pour les exploitations non certifiées. Les exploitants sont ainsi incités à obtenir la certification, à réduire l’impact de leurs activités, à améliorer les mesures sociales et à mieux préserver la faune », a-t-il expliqué.



Les auditeurs du FSC sont accrédités par l’organisme et vérifient chaque année le bon respect des procédures et normes établies. Ce sont des vérificateurs indépendants qui procèdent à des audits annuels des entreprises forestières au regard des 10 principes constituant une norme internationale. Cette norme comprend un certain nombre d’éléments dont le respect des lois nationales, le respect des droits des populations locales et autochtones, la sécurité des conditions de travail ainsi que des facteurs environnementaux.



Sur le site internet de l’Initiative pour la transparence des forêts, (Forest Transparency Initiative, FTI), on peut effectivement lire que des concessions du NNNP incluant celle de Kabo ont répondu avec brio aux exigences du plan d’Application de l’initiative pour les des réglementations forestières, la Gouvernance et les Echanges commerciaux (FLEGT) de l’Union Européenne qui vise lui aussi à réduire l’exploitation illégale des forêts. Dirigé par l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute, WRI), la FTI est une base de données répertoriant les entreprises forestières qui opèrent dans les pays d’Afrique Centrale.



Cependant certains remettent en question l’intégralité du processus de certification. FSC-Watch, par exemple, s’est montré très critique. A sa création en 2006, FSC-Watch a déclaré que si les problèmes structurels du système FSC étaient connus depuis de nombreuses années, les mécanismes officiels de gouvernance et de contrôle, notamment le Bureau élu, l’assemblée générale et le service de gestion des plaintes se sont montrés fort incapables de résoudre ces problèmes. En 2014 le groupe, qui est dirigé par quelques anciens sympathisants et fondateurs, a fait savoir que malheureusement, c’était encore le cas.



Les villes qui ont une activité d'abattage attirent les immigrants à la recherche de travail. S’ils n'en trouvent pas, ils se mettent à la chasse au gibier et à l'abattage illégal.  Crédit photo : (amabilité de) Karl Ammann.
Les villes qui ont une activité d’abattage attirent les immigrants à la recherche de travail. S’ils n’en trouvent pas, ils se mettent à la chasse au gibier et à l’abattage illégal. Crédit photo : (amabilité de) Karl Ammann.


FSC-watch a particulièrement ciblé la CIB, en disant que rien ne symbolisait les faiblesses criantes de ce système comme la Congolaise Industrielle des Bois, celle-là même qui est depuis des années le fleuron des exploitations forestières certifiées par le FSC en Afrique.



Ce groupe de surveillance rejette les nombreuses déclarations de succès faites par la WCS dans le passé, relevant des preuves de la persistance de la chasse au gibier, l’utilisation de véhicules de l’entreprise pour le transport de cette viande et même le braconnage d’éléphants par des employés de la CIB.



Un article universitaire récent portant sur le FSC constate que les « mentions dans la presse populaire dénoncent des failles importantes dans son processus de surveillance alors qu’une célèbre organisation de consommateurs a récemment qualifié les labels FSC de contradictoires, l’organisme se faisant surtout remarquer pour ses “conflits d’intérêts” ».



Plus inquiétant encore est le fait que ces dernières années, des acteurs clefs du système de gouvernance du FSC aient retiré leur soutien du programme. En janvier 2008, un certain nombre d’ONG et d’entreprises membres des chambres économiques et environnementales de l’assemblée générale du FSC ont émis une déclaration commune avertissant que les « problèmes du FSC sont si importants graves que lui apporter un soutien met en péril la crédibilité de leurs propres organisations ». Suite à cet avertissement, plusieurs démissions officielles ont été posées par certaines des plus importantes ONGs européennes impliquées dans la préservation des forêts. Cependant, de nombreuses autres grandes organisations de protection de l’environnement comme Greenpeace, le WWF et la WCS continuent à l’appuyer.



Toutefois la situation empire encore pour l’entreprise CIB : le rapport d’audit le plus récent portant sur la concession regroupant maintenant Kabo et Pokola souligne que le nombre d’éléphants et d’ongulés a fortement diminué par suite du braconnage. Même si la zone d’exploitation forestière du FSC montre de meilleurs résultats en termes de préservation de la faune qu’une concession non supervisée, le braconnage reste un problème sérieux, selon la Société pour la Conservation de la Faune (WCS).



Simon Counsell de FSC-Watch apporte ce commentaire : «La WCS reçoit depuis des années des millions de dollars en financements internationaux pour, prétendument, protéger le NNNP ainsi que la faune des concessions avoisinantes, certaines de ces sommes ayant été versées conjointement à la CIB. Elles ont donc toutes deux intérêt à ce que ces projets soient considérés comme des réussites ».




La Congolese Industrielle des Bois a obtenu la certification FSC, ce qui signifie qu'elle a mis en place une gestion durable des forêts.  L'organisme FSC-Watch, parmi d'autres, signale des problèmes. Crédit photo : amabilité de Marianne Jensen.
La Congolese Industrielle des Bois a obtenu la certification FSC, ce qui signifie qu’elle a mis en place une gestion durable des forêts. L’organisme FSC-Watch, parmi d’autres, signale des problèmes. Crédit photo : amabilité de Marianne Jensen.


A l’évocation des déclarations de FSC-Watch, Mark Gately du WCS répond que « la prise en charge du transport de la viande de gibier par les camions de la CIB a diminué par rapport à ce qu’elle était, et elle est du reste moindre que dans les concessions n’ayant pas de projet analogue. Même avec les meilleures intentions du monde, aucun système n’est parfait et de tels incidents peuvent toujours se produire. »



Devant tant d’informations contradictoires, il est difficile de dire si une gestion durable des forêts est effectivement en place dans les concessions forestières certifiées par la FSC, ou même dans tout autre zone abritant des grands singes



Dans un récent livre, la Fondation Arcus, qui est la plus grande fondation privée s’intéressant à la préservation des singes dans le monde, utilise le NNNP et ses environs comme cas d’étude pour évaluer précisément les effets de l’exploitation forestière sur les grands singes. Elle observe que les zones exploitées certifiées FSC présentent une gestion sensiblement meilleure que les non certifiées, mais qu’il reste encore beaucoup à faire.



La fondation conclut « qu’à l’heure actuelle, la tendance n’est pas au respect des meilleures pratiques ».



Mark Gately reconnaît que le succès du projet reste mitigé et qu’il est moins net qu’il y a quelques années. Il ajoute : «Nous travaillons avec la CIB et avec l’administration congolaise afin de le renforcer. »



Cependant, Arcus a établi que l’approche de la WCS, comprenant la collaboration entre les organismes de protection, le gouvernement et les entreprises forestières, était essentielle.



Pour la fondation, il est essentiel que tous ces acteurs continuent à travailler ensemble afin d’améliorer la mise en place de plans de gestion durable des forêts, en tenant compte notamment des 10 principes du FSC.



« Atteindre un niveau de conservation satisfaisant dans les zones à usages multiples exige de la ténacité, de la patience, des compromis et un travail acharné sur le long terme », ajoute Gatley.



Si les efforts ne persistent pas, la forêt idillyque de Ndoki finira par être maudites par les exploitations forestières et les braconniers au lieu de rester sous l’enchantement des grands singes naïfs.


(Cet article fait partie du programme d’aide aux initiatives de reportages spéciaux (Special Reporting Initiatives – SRI) de Mongabay.org et peut être repris sur votre site internet, dans votre magazine, lettre d’information ou journal selon les conditions décrites ici.)



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