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Comment le virus Ebola du Zaïre a-t-il atteint la Guinée ?

(Cet article a été produit dans le cadre du programme Special Reporting Initiatives (SRI) de Mongabay.org et peut être republié sur votre site web ou dans votre magazine, revue, ou journal sous ces conditions.)


Le trafic de commerce des grands singes est-il responsable de l’épidémie actuelle du virus Ebola?


La virulente épidémie du virus Ebola qui a déjà décimé plus de 800 personnes cette année, en plus de semer la panique, la peur et la confusion à travers l’Afrique de l’Ouest, n’était pas une souche endémique de la région comme on le croyait initialement. Au lieu de cela l’Université d’Edinburgh a découvert que la souche était identique à celle du virus Ebola du Zaïre découvert en République Démocratique du Congo (RDC), ancien Zaïre. Le Robert-Koch Institute en Allemagne a confirmé cette découverte.



En fait, c’est la première épidémie du virus Ebola du Zaïre jamais vue en Afrique de l’Ouest, et c’est déjà la plus sévère de l’histoire de l’humanité, à la fois en nombre de cas recensés et en pertes humaines. Le taux de mortalité varie entre 50 et 90 % des personnes infectées, et il n’existe aucun remède ni vaccin – c’est l’une des maladies les plus mortelles de la planète. Les victimes saignent a mort et leurs organes cessent de fonctionner en raison de l’hémorragie interne qui s’écoule de tous les orifices.



Il n’est pas étonnant que Kamono Moriba, un volontaire de la Croix Rouge de Guinée vivant à Guéckédou ou les premiers cas de cette épidémie ont été recensés ait, déclaré « J’avais réellement peur de mourir. »




Ce minuscule virus Ebola, en forme de vers, peut être mortel. Photo du domaine publique, fournie par les Centres de Contrôle et Prévention de la Maladie.Ce minuscule virus Ebola, en forme de vers, peut être mortel. Photo du domaine publique, fournie par les Centres de Contrôle et Prévention de la Maladie.




« Les gens nous disent que les travailleurs humanitaires ont apporté la maladie… Ils disent aussi que durant plusieurs décennies ils ont consommé de la viande de brousse sans contracter aucune maladie et se posent des questions sur la raison pour laquelle elle a fait surface à présent, » raconte Moriba.



L’explication initiale de l’éclosion du virus dans cette lointaine partie de la Guinée du sud-est, près des frontières de la Sierra Leone et du Liberia, était que les gens avaient consommé de la viande de brousse infectée. On pense que les chauve-souris frugivores sont le réservoir naturel de toutes les souches du virus Ebola, et elles peuvent le transmettre à d’autres espèces de différentes manières, y compris à travers leurs excréments, en faisant tomber des morceaux de fruits à moitié dévorés que les autres animaux mangent, ou alors en étant elles-mêmes massacrées et consommées comme viande de brousse.



Les chauves-souris sont une nourriture populaire en Afrique de l’Ouest. Je me souviens avoir vu leurs carcasses écorchées et fumées, semblables à de macabres crucifixions sur des croix en bois, vendues dans des gares ferroviaires et au bord des routes durant la période où je travaillais comme volontaire du Corps de la Paix en Côte d’Ivoire, il y a plusieurs années de cela.




Au bord des routes du Ghana, la viande de brousse comme celle de l’aulacode, du rat géant à bajoues et du céphalophe à flancs roux sont en vente. Photo courtoisie de Wikiseal publiée sous une license Creative Commons (Paternité- Partage des Conditions Initiales à l'Identique 3.0.)
Au bord des routes du Ghana, la viande de brousse comme celle de l’aulacode, du rat géant à bajoues et du céphalophe à flancs roux sont en vente. Photo courtoisie de Wikiseal publiée sous une license Creative Commons (Paternité- Partage des Conditions Initiales à l’Identique 3.0.)


Je pourrais aisément m’imaginer être contaminé d’une manière semblable à celle illustrée dans le film Contagion. Un bulldozer élague une clairière dans une forêt africaine pour construire une porcherie. Puis une chauve-souris infectée fait tomber un morceau de banane grignotée ; celui-ci est englouti par un porc qui finit plus tard dans la cuisine d’un restaurant. Le cuisinier, qui ne se lave pas les mains, infecte le personnage de Gwyneth Paltrow, enclenchant le processus d’un scénario terrifiant ; similaire à celui qui se déroule actuellement en Afrique de l’Ouest.



Mais la question de Moriba demeure pertinente. Pourquoi l’épidémie se déclenche-t-elle maintenant, près de 40 ans après la première apparition du virus Ebola en 1976 en RDC?



Une étude génétique détaillée du virus en Guinée et publiée en mai dans PLOS Currents en a conclu que « l’épidémie de la Guinée est vraisemblablement causée par un virus Ebola de la lignée de celui du Zaïre lequel s’est propagé de l’Afrique Centrale vers la Guinée et l’Afrique de l’Ouest lors des dernières décennies, et ne constitue pas l’émergence d’un virus endémique divergent. »



Un second rapport publié en juin vient également étayer ce point de vue, déterminant qu’il était « extrêmement improbable que ce virus ne fasse pas partie de la diversité génétique de la lignée du virus du Zaïre. » Leur analyse « confirme de manière non ambiguë que le EBOV 2014 de Guinée fait partie de la lignée du virus du Zaïre. »







On pense que les chauve-souris sont les réservoirs du virus Ebola et n’en sont pas affectées. Elles le transmettent à d’autres animaux, qui à leur tour infectent les humains par le biais de la viande de brousse. Courtoisie de Centre de Contrôle des Maladies. Cliquer pour agrandir.


Le fait que nous ayons affaire à une souche du virus encore jamais vue auparavant en Afrique de l’Ouest annihile la théorie d’origine de la chauve-souris, à moins que quelqu’un puisse démontrer qu’une chauve-souris frugivore infectée ait volé sur une distance de 2,000 miles depuis la RDC jusqu’à la Guinée, et ce faisant a peut-être fait tomber une banane mâchouillée dans une porcherie.



Mais il existe de bien meilleurs candidats à l’origine de l’épidémie. Récemment, des gorilles et des bonobos peuvent avoir été capturés depuis leur habitat sauvage en RDC et transportés par des trafiquants en espèces sauvages vers la capitale de la Guinée, Conakry. Cinq précédentes épidémies d’Ebola en Afrique Centrale ont été reliées à la manipulation de viande provenant de gorilles, chimpanzés et céphalophes (petite antilope) pour le commerce de viande de brousse. Porteurs connus du virus Ebola, ces grands singes – et leurs chasseurs humains – auraient pu avoir apporté la maladie avec eux.



En fait, le CITES Trade Database montre que dix gorilles ont été exportés de la Guinée vers la Chine en 2010. Mais la Guinée ne possède aucun gorille, pas plus qu’elle ne dispose de sites d’élevage de ces animaux. Karl Ammann, enquêteur sur le trafic des espèces sauvages et journaliste photo, pense que ces dix gorilles proviennent de la RDC. Entretemps, le précédent chef de la CITES Management Authority (Organisme de Gestion de la CITES) de la RDC, Leonard Muamba-Kanda, a déclaré sur vidéo qu’il connaissait le trajet suivi par les gorilles de la RDC jusqu’en Guinée, avant leur embarquement pour la Chine.







Les toutes premières villes où surgit l’épidémie, Guéckédou (G) et Kissidougou (K) sont proches de l’habitat naturel des chimpanzés, State of the Apes, Arcus Foundation (Etat des Grands Singes, Fondation Arcus). Cliquer pour agrandir.


Avec l’aide d’une ONG travaillant en Chine, on a retrouvé la trace de quatre des gorilles au Zoo de Changsa. Ammann a visité le zoo en janvier 2014. Un gardien du zoo lui a dit par l’intermédiaire d’un interprète que la gardienne en charge des gorilles à leur première arrivée était tombée malade et avait été diagnostiquée d’hépatite. Elle avait été renvoyée chez elle au nord de la Chine. Les gorilles avaient alors été contrôlés pour le virus de l’hépatite ; deux avaient été testés positifs et tous les quatre avaient été euthanasiés. Mais si cette maladie était en réalité le virus d’Ebola ? Tous les cas d’Ebola ne montrent pas des symptômes d’hémorragie. On a besoin de plus de recherches et d’investigations pour s’assurer de la manière dont la maladie avait été diagnostiquée et de ce qu’il était advenu de la gardienne infectée.



Mais il se peut que les gorilles n’aient pas été les seuls en cause. En 2011, une mission du Secrétariat de la CITES en Guinée enquêtant sur une inhabituelle activité de commerce de grands singes a découvert deux permis d’exportation de bonobos vers l’Arménie. Les bonobos proviennent d’un seul pays : la RDC. Le Secrétariat de la CITES n’a donné aucune suite à cette affaire, mais Ammann l’a fait. Œuvrant de concert avec une journaliste d’investigation arménienne, Kristine Aghalaryan, ils ont retrouvé la trace d’un des bonobos dans un safari parc privé du nom de Jumbo Park, situé à Dzoragbyur. L’autre bonobo était mort. La cause du décès n’était pas citée. Ce décès coïncide avec les précédentes épidémies du virus Ebola du Zaïre.




Un bonobo tel que celui-ci pourrait avoir transporté le virus Ebola Zaïre  sans le vouloir de la RDC vers la Guinée, déclenchant  ainsi l’épidémie. Photo: Karl Ammann

Un bonobo tel que celui-ci pourrait avoir transporté le virus Ebola Zaïre sans le vouloir de la RDC vers la Guinée, déclenchant ainsi l’épidémie. Photo: Karl Ammann.

Suite à des interrogatoires et en obtenant auprès du State Revenue Committee (Comite des Recettes Publiques) une liste des animaux importés en Arménie, Aghalaryan a déterminé qu’au moins cinq bonobos et sept chimpanzés avaient été importés dans ce pays européen en 2011 et 2012. Rien de cela ne figure sur le CITES Trade Database (Base de Données sur le Commerce CITES). Se pouvait-il qu’ils aient tous transité de la RDC vers la Guinée avant d’être clandestinement acheminés vers l’Arménie?



Un certain nombre de trafiquants de grands singes sont également connus pour être basés en Guinée, et plusieurs d’entre eux ont des liens de parenté avec des trafiquants de la RDC. Ces négociants guinéens font des allées et venues entre la Guinée et la RDC sur une base régulière en vaquant à leur commerce, essentiellement illégal, d’espèces sauvages. L’un d’entre eux aurait pu avoir été infecté du virus Ebola et l’avoir ramené avec lui en Guinée.



« Les trafiquants de grands singes à Conakry ont des équipes de ramassage qui se rendent en forêt, tuent les mères chimpanzés et capturent les bébés, » a déclaré Ammann à mongabay.com. « Ils les amènent à Conakry. Les trafiquants sont ces mêmes personnes qui ont de la famille à Kinshasa (en RDC). »



Les éléments sont là pour permettre de soumettre l’hypothèse de scénario suivante. Les trafiquants d’espèces sauvages capturent les gorilles et /ou les bonobos (peut-être même des chimpanzés) en RDC. Ils se rendent en Guinée en route vers une autre destination telle que la Chine ou l’Arménie, mais un singe ou un trafiquant infecté par le virus Ebola du Zaïre apporte le virus avec lui. Le trafiquant infecté part alors en tournée de ramassage des chimpanzés dans la région de Guéckédou et y infecte une autre personne. Selon des responsables, le virus avait initialement été spéculativement déterminé comme provenant d’un enfant de deux ans en décembre 2013, dans un village proche de Guéckédou. La contagion se serait propagée à partir de là.



La route principale reliant Conakry à Guéckédou longe une importante zone d’habitat des chimpanzés. Se pourrait-il qu’un trafiquant de grand singe infecté du virus Ebola ait déclenché l’épidémie? La zone en rouge est la région où s’est initialement déclenchée l’épidémie. Courtoisie du New England Journal of Medicine (Journal de Medecine de Nouvelle Angleterre).
La route principale reliant Conakry à Guéckédou longe une importante zone d’habitat des chimpanzés. Se pourrait-il qu’un trafiquant de grand singe infecté du virus Ebola ait déclenché l’épidémie? La zone en rouge est la région où s’est initialement déclenchée l’épidémie. Courtoisie du New England Journal of Medicine (Journal de Medecine de Nouvelle Angleterre).


Le fait que Ebola ne soit pas apparu à Conakry ou ailleurs ne peut actuellement pas être expliqué, mais déterminer l’historique et l’épidémiologie tout entiers de cette épidémie est de la plus haute importance afin d’empêcher une répétition de l’histoire. Le trafic des grands singes pourrait avoir de bien plus graves conséquences qu’on ne l’a jamais imaginé.



Les chimpanzés vivant en Guinée sont également en danger, étant donné que les grands singes ont souffert bien plus que les humains des précédentes épidémies d’Ebola. Près de 90 % des populations des grands singes locaux ont été éradiquées par le virus Ebola lors des précédentes épidémies en Afrique Centrale, tout particulièrement dans les zones de déforestation, ce qui caractérise la majeure partie de l’habitat des singes d’Afrique de l’Ouest.



Une banane à moitié dévorée qu’un humain infecté aurait fait tomber et qui aurait été récupérée par un chimpanzé pourrait sonner le glas pour le chimpanzé d’Afrique de l’Ouest déjà sérieusement menacé (Pan troglodytes verus).



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