Jairo Mora Sandoval. Photo by: Carlyn Samuel.
Dans la soirée du 30 mai dernier, Jairo Mora Sandoval, un écologiste de 26 ans a été assassiné sur la plage de Moin à proximité de Limón, au Costa Rica, où il protégeait courageusement les nids des tortues de mer depuis plusieurs années malgré les menaces de plus en plus pressantes des braconniers, parfois armés. Il a été kidnappé à bord de son véhicule en patrouille sur la plage, accompagné de quatre femmes bénévoles qui cherchaient avec lui des tortues de mer en train de faire leurs nids. Jairo Sandoval a été pris à part et les autres captives ont pu s’échapper. Il a été dénudé et tabassé. La police a retrouvé son corps le lendemain, menotté, ace contre terre ; Jairo Sandoval est mort asphyxié.
“Jairo était un ardent défenseur des tortues,” comme l’explique à mongabay.com une chercheuse de l’Imperial College de Londres, Carlyn Samuel, qui collaborait avec lui via l’association locale « Wider Caribbean Sea Turtel Conservation Network (WIDECAST) ». “Nous commencions nos patrouilles sur la plage vers 9h du soir et Jairo rentrait chez lui vers 4h30 du matin, toujours aussi enthousiaste, après une nuit passée à l’arrière du pickup et anxieux de trouver quelques tortues attardées sur la plage à l’aube. Dès qu’il en repérait une, il tambourinait sur le toît du pickup pour m’avertir et il sautait en marche pour rejoindre la tortue. Il n’était jamais fatigué et il fallait le sermonner pour qu’il prenne un jour de repos !”
Sandoval entering data sur tortues de mer. Photo by : Carlyn Samuel. |
L’assassinat de Sandoval montre la triste réalité du braconnage effréné des oeufs de tortue de mer au Costa Rica. En différents endroits du pays comme la plage de Moin, ce braconnage est étroitement lié au commerce de la drogue. En effet, les oeufs de tortue mer se négocient autour de 1 $ pièce sur le marché au Costa Rica, et quelques nids d’une centaine d’oeufs représentent une petite fortune. Les écologistes de la région savent que les oeufs sont en général vendus à des dealers qui les écoulent illégalement ou les échangent contre de l’argent ou contre un « fix ». Les oeufs sont victimes de leurs vertus aphrodisiaques supposées. Les plages où elles sont protégées sont souvent le théâtre d’échauffourées avec les braconniers pris la main dans le sac.
Six des sept espèces de tortues de mer se reproduisent sur les plages du Costa Rica. La plus commune sur la plage de Moin étant la « Leatherback » (Dermochelys coriacea), qui est aussi la plus grosse et celle qui plonge le plus profond. Cet animal de grande taille, seul représentant de sa famille, est aujourd’hui sur la liste rouge des espèces les plus menacées de l’UICN.
Malgré la couverture médiatique de cette situation tant au Costa Rica que dans le reste du monde, la mort de Sandoval n’a donné lieu à aucune arrestation au Costa Rica. La police dit ne pas avoir pu déterminer le mobile de l’assassinat, mais de nombreux écologistes qui s’occupent de la protection de l’espèce ont clairement pointé du doigt des représailles contre Sandoval et son action dédiée à la protection des tortues sur cette plage. Dans le cas de cet assassinat, la préméditation est clairement établie.
En prélude à l’assassinat de Sandoval
Si le meurtre de Jairo Mora Sandoval a été condamné par les Nations Unies et l’ambassade américaine, les défenseurs de l’espèce de tortues présents sur la Plage de Moin sont régulièrement pris à parti depuis des années de façon plus ou moins violente. Au Costa Rica en 2012, plusieurs bénévoles du Wider Caribbean Sea Turtle Conservation Network (WIDECAST), ont été ligotés et tabassés pendant leur tour de garde des nids de tortues. Les attaquants, jamais inquiétés, se sont volatilisés avec les oeufs.
“Au retour d’une patrouille nocturne, Jairo et moi avons trouvé des tortues terrifiées, la tête dans le sable,” explique Samuel. “Jairo en a été bouleversé et il était dès lors bien clair qu’à aucun prix il n’allait déserter cette plage !”
Selon la coordinatrice bénévole de WIDECAST, Vanessa Lizano, des hommes armés de AK-47s lui ont intimé l’ordre d’arrêter de s’occuper des tortues de mer sur cette plage. Elle rapporte avoir subi ce type de menace par des braconniers, et elle a quitté San Jose après avoir reçu des menaces où figuraient la photos de son fils. Elle a continué à contribuer au projet à distance.
Une tortue de mer luth qui repart à l’eau après avoir fait son nid sur la plage de Moin. Photo de Carlyn Samuel.
La montée de la violence, particulièrement l’attaque sur l’écloserie, a incité le gouvernement Costa Ricain à commencer des patrouilles sur la plage avec la collaboration de WIDECAST l’année dernière.
“Le projet a été placé sous la responsabilité de l’UIP, une unité d’élite spécialisée dans le contrôle des manifestations et dans la lutte anti-drogue au Costa Rica,” a expliqué Carlyn Samuel. “Cette unité a patrouillé avec nous, armée de AK-47s et équipée de gilets pare-balles etc. Grâce à sa présence, l’équipe du projet pouvait parcourir la plage en toute sécurité la nuit et a pu sauver quelque 1 750 nids au Costa Rica. De plus, elle a pu pratiquer des arrestations et récupérer des oeufs volés dissuadant ainsi les braconniers de « travailler » sur la plage.”
Mais la police n’a pas reconduit les patrouilles pour la nouvelle saison de nidification malgré les appels à protection de WIDECAST. Cette décision est pour beaucoup dans l’assassinat de Sandoval.
“Malgré les demandes renouvelées de Jairo et de Vanessa Lizano, la police s’est contentée de promettre qu’elle reviendrait, sans jamais le faire. C’est ainsi que Jairo s’est vu dans l’obligation de protéger seul ses chères tortues,” raconte Samuel. “Pourtant, sans ce soutien et cette force de dissuasion, le projet n’a pu sauver qu’environ six nids. Le dernier message de Jairo sur Facebook était une exhortation de masse à la protection de la police.”
Peu de temps avant son assassinat, Sandoval écrivait sur Facebook: “Envoyez des messages à la police pour la faire venir sur la plage de Moín… Dites-leur qu’il ne faut pas avoir peur mais venir armés… Nous déplorons la perte de 60 tortues et il n’y a pas un seul nid… nous avons un besoin urgent d’aide.”
Mais cette aide n’est jamais venue.
Les méfaits de la misèr
La meurtre de Jairo Mora Sandoval, le braconnage dont sont victimes les oeufs des tortues de mer au Costa Rica, et le commerce illicite de la drogue sont en partie liés à différentes formes de misère ancrées dans cette partie du monde, si l’on en croit l’analyse de Carlyn Samuel. Avec une population autour de 60 000 âmes, Limón abrite le plus grand port du Costa Rica, et, selon elle, également une multitude de migrants vivant dans le plus grand dénuement.
“Comme dans toutes les villes de ce type, ces phénomènes vont de pair avec la consommation de drogues et une violence endémique” ajoute-t-elle. “En outre, le chômage élevé contribue à exacerber les tensions au Costa Rica. La culture locale admet pratiquement le port d’arme comme une nécessité, et les AK-47s y sont de plus en plus courants. […] On croise des chômeurs armés et excessivement démunis, parfois d’anciens repris de justice ou consommateurs de narcotiques, qui vivent au Costa Rica dans des abris de fortune, sans eau, ni électricité, ou aucune espèce d’équipement ‘moderne’ comme des sanitaires ou des routes. ”
Deux tortues sorties du nid se dirigent vers l’océan. Les scientifiques estiment que seule environ une sur mille atteint l’âge adulte tant elles sont attaquées par l’homme et les prédateurs. Photo : Carlyn Samuel.
Carlyn Samuel explique que les patrouilles sont parfois confrontées à des braconniers sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool sur cette plage qui d’ailleurs est investie par les caïds de la drogue.
“Plusieurs narco trafiquants bien connus opèrent sur la zone […] et ils sillonnent la plage la nuit pour prendre livraison depuis les bateaux et négocier sur place,” explique Carlyn Samuel.
Le succès de WIDECAST dans la protection des tortues de mer au Costa Rica s’est traduit par une confrontation entre les agents du programme et ces contrebandiers, qui ont toujours opéré tranquillement sur cette plage.
Les suites de l’affaire
Costa Rica has become known as one of the greenest countries in the world with vast rainforest protected areas, an environmentally-conscious government, and a hugely popular tourist industry. But Lizano, who often risked her life to protect sea turtles on Moín beach, says that with the murder of Jairo Mora Sandoval Costa Rica’s green image “has been shattered.”
She notes that despite its reputation, Costa Rica is not as environmentally progressive as it maintains.
Leatherback hatchling in the foreground with Sandoval in the background. Photo by: Carlyn Samuel. |
Le Costa Rica s’est forgé une réputation de pays écologiquement responsable avec ses vastes zones de forêt tropicale protégées par le gouvernement, et le poids considérable du tourisme dans son économie. Mais Vanessa Lizano, qui a souvent protégé les tortues de mer sur la plage de Moín au péril de sa vie, dit que le meurtre de Jairo Mora Sandoval a sévèrement terni l’image verte du pays.”
Elle note que malgré cette réputation flatteuse, le Costa Rica n’est pas aussi écologiste qu’il le prétend.
“Nous estimons que même si le Costa Rica semble atteindre ses objectifs au sens de la [Convention on Biological Diversity (CBD)], beaucoup des zones dites protégées ne sont en réalité protégées ni légalement ni par la police. Il est vrai que la plage de Moín n’est pas une zone protégée, mais nous avons constaté qu’il était pratiquement impossible d’obtenir la moindre aide du gouvernement sur cette plage.”
Vanessa Lizano explique que l’ambiguïté du gouvernement en ce qui concerne cette plage ne se limite pas au simple manque de soutien. Bien que l’on sache qu’elle est un site de premier plan pour la reproduction des tortues de mer, les pouvoirs publics soutiennent un projet de construction d’un port de plaisance et d’un grand complexe touristique. Elle rapporte que le refus du gouvernement d’accepter que cette plage soit un site crucial pour la reproduction des tortues est probablement lié à ces projets immobiliers. En outre, la réaction des pouvoirs publics au meurtre de Sandoval a été ambigüe. Le Vice President du Costa Rica, Alfio Piva, a appelé ce meurtre un “accident,” et la police de Limón l’a classifié comme les suites d’un vol en arguant du fait que son téléphone et le contenu de son portefeuille ont été dérobés.
“Nous pensons que la seule façon de rendre justice à Jairo et d’aider sa famille à faire son deuil est de parler de son meurtre sur la scène internationale,” ajoute Vanessa Lizano.
C’est pourquoi WIDECAST a proposé au gouvernement du Costa Rica de déclarer la plage de Moín « zone protégée », et de lui donner le nom de Sandoval à sa mémoire. Le 5 juin, des veilles ont été organisées dans tout le pays en son honneur. Entre temps, un ensemble de groupes engagés dans la préservation de l’espèce a créé un fonds spécial pour financer une récompense de 10 000 $ pour toute information conduisant à l’arrestation de ses meurtiers. Toute information de cette nature est à poster à l’adresse PorJairoMoraSandoval@gmail.com.
La police est sensée nettoyer la plage des braconniers, mais elle est désormais désertée par les protecteurs de l’espèce. WIDECAST a stoppé ses patrouilles après le meurtre de Sandoval en raison du défaut de protection. Et, ayant perdu leur principal protecteur, les tortues de mer de la plage de Moín sont à nouveau à la merci des braconniers.