A présent disparue: la pipistrelle de l’île Christmas. Photo de Lindy Lumsden.
Les nuits sur l’île Christmas dans l’Océan Indien ne seront plus jamais les mêmes. La dernière écholocalisation d’une minuscule chauve-souris originaire de l’île, la pipistrelle de l’île Christmas (Pipistrellus murrayi), a été enregistrée le 26 août 2009 et est, depuis lors, restée silencieuse. Ce qui est peut-être plus alarmant encore, c’est que rien n’a été fait pour sauver l’espèce. Selon un article paru dans Conservation Letters, tandis que les autorités australiennes tergiversaient et repoussaient leur action alors même qu’elles avaient été informées à plusieurs reprises du caractère désespérée de la situation, la chauve-souris était vouée à l’extinction. La pipistrelle de l’île Christmas est le premier mammifère en 50 ans dont l’extinction est confirmée en Australie.
Plus légère qu’une pièce de 5 cent, la pipistrelle de l’île Christmas se nourrissait d’insectes et nichait dans les creux d’arbres et la végétation en décomposition. Il y a quelques décennies encore, cette chauve-souris était largement répandue sur l’île Christmas et se nichait par groupe d’une cinquantaine d’individus.
“On estime qu’une seule pipistrelle consomme le poids de son corps en insectes chaque nuit,” a déclaré à mongabay.com Tara Martin, principal auteur de l’agence scientifique nationale australienne, l’Organisation de la Recherche scientifique et industrielle du Commonwealth (CSIRO). “Bien que la perte de la pipistrelle va probablement conduire à une hausse des insectes, il est trop tôt pour dire quel en sera son impact écologique à long terme sur l’île.”
Une perspective d’extinction
Autrefois florissante, la situation de la pipistrelle de l’île Christmas a pris soudainement, après la mi des années 80, un tour tragique. Sa population a commencé à diminuer alors que la chauve-souris disparaissait de beaucoup de ses anciens lieux d’habitat. Entre 1994 et 2006, la population a chuté de plus de 80%.
En janvier 2009, une expédition n’a trouvé que quatre individus sur un simple perchoir. Lindy Lumsden, une spécialiste des chauve-souris, avait alors averti le gouvernement australien de ce que la population pouvait n’être plus composée que de 20 chauve-souris et que “si le déclin se poursuivait à ce rythme, cette espèce aurait probablement disparu dans les 6 mois.”
Lumsden a ajouté: “Il est essentiel, par conséquent, qu’un programme d’élevage en captivité soit immédiatement mis en place pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’autres pertes et que l’on puisse avoir des individus pour rétablir les populations sauvages, une fois la cause du déclin identifiée et contrôlée.”
Mais le gouvernement australien a hésité et au lieu de cela, a mis en place un comité pour examiner les diverses options. Les mois ont passé. En août 2009, Lumsden a finalement été autorisée à capturer des chauves-souris pour un élevage en captivité. Mais il était dès lors trop tard. Quatre semaines d’étude n’ont permis de localiser qu’une seule chauve-souris via son écholocalisation. Les chercheurs n’ont pas pu l’attraper et la chauve-souris est demeurée silencieuse depuis le 26 août 2009.
“Il est tout à fait possible que ce soit l’une des rares fois où il soit possible d’indiquer de manière précise l’extinction d’espèces sauvages,” indique une note d’introduction de l’Union internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN) sur la chauve-souris.
Bien qu’il demeure possible qu’une colonie de chauve-souris subsiste, il est peu probable que les chercheurs puissent en fournir une complète estimation.
Les scientifiques ne savent pas encore ce qui a poussé la chauve-souris à l’extinction, bien qu’il y ait un certain nombre de possibilités dont une quantité d’espèces invasives comme le chat sauvage, le serpent loup commun et une récente invasion de fourmis folles jaunes. La maladie pourrait être une autre possibilité bien que les chercheurs n’aient pu trouver de signes de chauve-souris souffrant d’une quelconque pathologie.
Un manque de leadership
Une pipistrelle de l’île Christmas. Photo de Lindy Lumsden.
Alors, que s’est-il passé? Selon l’article paru dans Conservation Letters, c’est un manque de leadership qui a condamné l’espèce.
“Le leadership s’est avéré être un élément clé dans le rétablissement de nombreuses espèces en voie de disparition à travers le monde. Sans un “champion” pour maintenir la pression afin que les gouvernements agissent, les espèces continueront de passer à travers les mailles du filet,” explique Martin qui note que le leader n’est pas obligatoirement un individu mais peut être une organisation ou une équipe gouvernementale.
Martin dit que les autorités auraient pu décider de l’inutilité d’un programme d’élevage en captivité vu le si petit nombre d’individus restants et de l’abandon de la chauve-souris, les rares ressources étant consacrées à d’autres fins…
“Toutefois, aucune décision de la sorte n’est apparue,” indique Martin. Au lieu de cela, après en avoir été averties, les autorités ont retardé de 8 mois leur prise de décision.
Au final, “l’absence d’une prise de décision courageuse face à l’incertitude et l’absence de responsabilité quant au blocage des décisions ont contribué à la perte de la pipistrelle,” déclare Martin.
“Le contrôle des espèces en voie de disparition doit être lié aux décisions. Les institutions doivent rendre compte de leurs décisions et les décisions en matière d’action doivent être prises avant que les situations ne soient critiques et que les espèces n’aient disparu à jamais,” affirme Martin.
Une espèce pour laquelle le leadership a fait la différence: le perroquet à ventre orange
Un perroquet mâle à ventre orange (Neophema chrysogaster) à Melaleuca dans l’aire de conservation du Sud-Ouest de la Tasmanie en Australie. Photo de J.J. Harrison.
Le perroquet à ventre orange (Neophema chrysogaster), selon l’article, montre combien un courageux leadership peut faire la différence. Alors que le perroquet à ventre orange faisait face à une situation similaire à celle de la pipistrelle de l’île Christmas, celui-ci a connu une issue très différente et bien plus heureuse.
En 1984, la population des perroquets à ventre orange est descendue à 150 oiseaux environ. Deux ans plus tard, a été constituée la première population élevée en captivité mais, dans la Nature, cet oiseau a continué de disparaître. En 2009, les chercheurs ont annoncé que, d’ici quelques années, celui-ci aurait disparu. Une équipe de secours décida alors de capturer durant une journée un plus grand nombre de perroquets à ventre orange sauvages pour augmenter la population en captivité. Aujourd’hui, on compte près de 200 perroquets à ventre orange en captivité et l’espèce a une chance d’être réintroduite dans la Nature et de survivre à long terme, contrairement à la pipistrelle de l’île Christmas.
Selon Martin, la différence majeure entre le perroquet à ventre orange et la pipistrelle de l’île Christmas a résidé dans le fait que le perroquet a bénéficié d’une équipe de secours qui, créée dès 1986, s’est consacrée à sa survie. Cette équipe a contrôlé étroitement le perroquet et a pu agir rapidement pour le sauver de l’extinction.
“Les équipes de secours font partie intégrante du succès du rétablissement des espèces car elles agissent comme des “champions” pour s’assurer que le processus de décision va de la collecte d’informations à la mise en oeuvre d’actions et à la vérification du succès,” explique Martin.
Une partie du problème, dit Martin, pourrait résider dans le fait que le public aime tout simplement plus les perroquets que les chauves-souris, sans considérer leur rôle ou importance écologiques.
“En tant qu’êtres humains, nous accordons inévitablement plus de valeurs à certaines espèces qu’à d’autres. Dans le cas du perroquet à ventre orange, celui-ci a bénéficié d’une équipe de secours composée de membres de plusieurs gouvernements et agences ainsi que d’universitaires et d’ONG qui ont fait pression et travaillé avec ardeur pour sa protection pendant presque 30 ans. Aucune équipe de secours comme celle-ci ou de “champion” n’a existé pour la pipistrelle,” dit-elle, ajoutant que: “Il ne fait pas de doute que si la pipistrelle avait ressemblé à un panda, un programme d’élevage en captivité aurait été créé il y a longtemps.”
Bien que la pipistrelle de l’île Christmas ait disparue, Martin dit que cette dernière nous a laissé des enseignements à tirer pour les futures actions de conservation.
“Les leçons apprises ici sont mondialement utiles. Enrayer la perte de la biodiversité mondiale via des plans de secours requerra une gouvernance, un leadership et une prise de décision courageuses et efficaces face à l’incertitude.”
Malheureusement, la pipistrelle de l’île Christmas figure à présent sur la longue liste des mammifères disparus sur l’île, dont le rat de Maclear (Rattus maclean), le rat Bulldog (Rattus nativitatis) et peut-être même la musaraigne de l’île Christmas (Crocidura trichura) qui n’a pas été enregistrée depuis les années 1980. Avec la perte de la pipistrelle de l’île Christmas, le dernier mammifère endémique restant pourrait être la chauve-souris frugivore de l’île Christmas (Pteropus melanotus natalis), une sous-espèce d’une chauve-souris découverte sur les îles avoisinantes dont celle de Sumatra.
Une pipistrelle de l’île Christmas.. Photo de Lindy Lumsden.
CITATION: Tara G. Martin, Simon Nally, Andrew A. Burbidge, Sophie Arnall, Stephen T. Garnett,
Matt W. Hayward, Linda F. Lumsden, Peter Menkhorst, Eve McDonald-Madden,
& Hugh P. Possingham. Acting fast helps avoid extinction. Conservation Letters. 2012.