Des manifestants contre le projet de pipeline Keystone XL escortés après leur arrestation. Photo de : Josh Lopez/Tar Sands Action.
L’activisme pour le climat et l’environnement aux États-Unis a connu une poussée d’enthousiasme cet été lorsqu’il a porté son intérêt essentiellement sur le pipeline Keystone XL. Pendant une protestation de deux semaines devant la Maison Blanche, 1 253 militants représentés aussi bien par de jeunes étudiants que par des scientifiques plus âgés, des chefs religieux et des peuples indigènes, ont, pour la cause, embrassé la désobéissance civile, les menant à leur arrestation. La protestation, qui a attiré des milliers d’autres personnes qui ne se sont pas fait arrêter, a reçu une large couverture médiatique et a fait en sorte que le gouvernement Obama ne puisse approuver le pipeline sans conséquence.
Jamie Henn, porte-parole de Tar Sands Action, qui a organisé le mouvement de protestation et cofondateur de l’organisation 350.org pour le climat, a déclaré à Mongabay.com que « la raison qui fait apparaître le projet pipeline keystone XL comme un combat primordial est le fait qu’il soit défini sur un horizon temporel. Le gouvernement annonce qu’une décision sera publiée avant la fin de l’année, et cette décision d’accorder le permis ou non repose uniquement sur le président Obama. Ceci est un test évident pour le Président. »
Le pipeline en question acheminerait le pétrole depuis les sables bitumeux en Alberta au Canada, jusqu’au Texas, traversant six États. Les manifestants craignent des dégâts sur l’environnement, causés en particulier par les déversements d’hydrocarbures. Ils sont frustrés par l’emprise que les sociétés pétrolières ont sur les politiques américains et condamnent les impacts de l’exploitation des sables bitumineux sur la forêt boréale et les Premières nations au Canada. Ensuite viennent les changements climatiques : les sables bitumineux du Canada sont considérablement plus élevés en émissions de gaz à effet de serre et consommation d’énergie et d’eau que la plupart des sources d’énergie conventionnelles. Leur exploitation est considérée par beaucoup de climatologues comme un symbole d’une humanité peu encline à aborder les raisons du réchauffement mondial, même des décennies après les avoir identifiées.
Manifestants. Photo de : Ben Powless/Tar Sands Action. |
Encore, l’accord du projet de pipeline Keystone XLK semblait être assuré par le gouvernement Obama depuis longtemps : des emails récemment publiés sous le Freedom of Information Act (Loi sur la liberté d’information) et de nouvelles informations sur le processus d’examen montrent que le département d’État a toujours été en étroite relation avec TransCanada, la société proposant le pipeline. Une relation, disent les critiques, qui a altéré le processus d’examen dans son ensemble.
« Le président Obama a promis “le gouvernement le plus transparent de l’histoire.” Ceci va complètement à l’encontre de cette promesse, » déclare Henn.
Les partisans du pipeline soutiennent que cela va créer des emplois aux États-Unis et assurer qu’un pays voisin allié approvisionne en pétrole.
Mais après des années de déceptions sur les questions climatiques, les protestataires affirment que le pipeline donne une occasion au gouvernement Obama de prouver qu’il est toujours sérieux sur le combat contre les changements climatiques et sur la libération des États-Unis de sa longue dépendance aux combustibles fossiles. Beaucoup de militants se sont engagés à ne pas participer aux prochaines élections, tout du moins en matière de volontariat et donation, si Obama donne son accord pour le pipeline.
« Vous voyez, résister à l’envie d’essorer chaque goutte d’huile, de couper chaque arbre, d’extraire chaque diamant de conflits, etc. va être l’un des défis de l’humanité les plus importants de ce siècle, » affirme Henn. « Prendre la bonne décision concernant les sables bitumineux est un bon début. »
Dans un entretien en octobre 2011, Jamie Henn explique pourquoi le mouvement pour le climat a suivi le projet de pipeline Keystone XL, les récents scandales liés au processus d’examen du projet adopté par le gouvernement, l’accueil favorable du mouvement Occupy Wall Street (Occupons Wall Street) par le groupe, et ce qui est à venir dans la bataille contre le pipeline, y compris l’encerclement de la Maison Blanche.
ENTRETIEN AVEC JAMIE HENN
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Les sable bitumineux de Google Earth près du Fort McMurray en Alberta.
Mongabay: pourquoi Obama devrait-il rejeter le pipeline Keystone XL ?
Jamie Henn: Le pipeline Keystone XL serait une autre aiguille sale encourageant la dépendance des États-Unis aux combustibles fossiles. Le pipeline acheminerait des sables bitumineux d’Alberta au Golfe du Mexique. Sur le chemin, il traverserait l’aquifère d’Ogallala, prenant le risque de déverser des hydrocarbures sur l’une des plus grandes sources d’eau potable et la source de 30 pour cent de l’eau utilisée pour l’irrigation des cultures des États-Unis. Les scientifiques affirment que développer complètement les sables bitumineux signifierait principalement « perdre la partie » au niveau du climat. Politiquement, le pipeline est également un mauvais choix : c’est un cadeau aux « Big Oil » et aux personnes comme les frères Koch qui se servent constamment de leurs profits pour corrompre notre système politique. Le Keystone XL n’est pas dans l’intérêt national des États-Unis et le président Obama devrait refuser le permis.
Mongabay: Pourquoi le mouvement climatique américain a-t-il décidé d’adopter la désobéissance civile ?
Les militants se préparent à saluer le président des États-Unis, Barack Obama, lors de son apparition à Colombus, Ohio. Photo publiée avec l’aimable autorisation de Tar Sands Action. |
Jamie Henn: Certaines parties du mouvement pour le climat, particulièrement ceux qui luttent contre le rasage de montagnes dans les Appalaches, utilisent la désobéissance civile depuis longtemps. Ce qui a poussé le reste du mouvement à les rejoindre dans cette pratique, c’est, je pense, la réalisation que les dés concernant ce pipeline étaient truqués. La semaine dernière seulement, le New York Times a publié une anecdote démontrant que l’entreprise engagée par le département d’État pour faire l’analyse environnementale du pipeline, Cardno Entrix, compte parmi ses plus gros clients, TransCanada, la société qui cherche à construire le pipeline. Les emails obtenus sur demande dans le contexte de la Loi sur la liberté d’information montrent les fonctionnaires du département d’État encourageant le lobbyiste en chef de TransCanada, qui est en fait l’ancien chef de campagne d’Hillary Clinton. Maintes fois, les dollars des Big Oil l’ont emporté sur la parole des scientifiques, économistes, et individus ordinaires. Nous avons réalisé que nous devions opérer à un autre niveau, à savoir s’engager corps et âme. 1 253 personnes ont été arrêtées en août à la Maison Blanche ; pour la plupart d’entre eux, c’était la première fois. Je m’attends à voir quelques milliers supplémentaires se faire arrêter au cours des mois à venir.
Mongabay: Quels sont les problèmes du gouvernement Obama quant à l’examen du projet de pipeline Keystone ? Ces conclusions devraient-elles forcer le gouvernement à recommencer ?
Jamie Henn: Le département d’État devrait revenir sur sa décision concernant le Keystone XL et le processus entier du permis devrait être abandonné. La combinaison de la divulgation récente des emails provenant du département d’État, des révélations précédentes de WikiLeaks montrant les fonctionnaires conseillant les Canadiens sur la meilleure façon d’attaquer la question des sables bitumineux, ainsi que l’embauche de Cardno Entrix, société de conseil chargée de conduire l’examen environnemental, montre un conflit d’intérêt évident. Le président Obama s’était engagé à avoir « le gouvernement le plus transparent de l’histoire. » Ceci va complètement à l’encontre de cette promesse. Refuser le permis maintenant est la meilleure action que le président Obama puisse prendre pour protéger l’environnement, faire le ménage dans son gouvernement et montrer à ses partisans qu’il mérite leur soutien en 2012.
Mongabay: Quels sont les plans à venir de Tar Sands Action concernant le pipeline ?
Un jeune homme, arrêté le 20 août au début de l’action Tar Sands, sort du tribunal après avoir passé 2 nuits en prison. Photo de : Milan Ilnyckyj/Tar Sands Action. |
Jamie Henn: À l’heure actuelle, les militants opposés au pipeline à travers le pays organisent des manifestations à chacune des apparitions publiques du président Obama. Au moment même où j’écris, des étudiants de Pittsburgh et Miami sont en train d’organiser un plan d’action. Les gens rendent également visite aux bureaux de campagne électorale américaine pour dire : « écoutez, en 2008 j’étais volontaire pour le soutien de Barack Obama. Cette année, je ne donnerais rien, ni une heure de mon temps, ni un dollar, tant qu’Obama n’aura pas pris la bonne décision et arrêté ce projet de pipeline. » Et nous avançons vers un évènement important : le 6 novembre, un an avant l’élection, nous prévoyons d’amener plus de 5000 personnes à Washington, DC pour encercler complètement la Maison Blanche. Nous tiendrons des pancartes avec les mots du président Obama, tels que « Soyons la génération qui libèrera finalement l’Amérique de sa tyrannie du pétrole. » Ce sera un rappel fort de qui l’a élu à la Maison Blanche et ce qu’il doit faire pour y rester.
Mongabay: Pourquoi les activistes pour le climat ont-ils choisi de se focaliser sur le pipeline plutôt que sur l’accord du gouvernement Obama pour le forage en Arctique, qui ouvre une nouvelle source de combustibles fossiles et qui pourrait être quasi impossible de nettoyer en cas de marée noire ?
Jamie Henn: C’est une bataille sur plusieurs fronts et qui va probablement durer toute notre vie. Il y a un certain nombre de groupes qui sont particulièrement ciblés sur les forages en Arctique comme Greenpeace par exemple. En plus des implications sur l’environnement, la raison qui fait apparaître le projet pipeline keystone XL comme un combat primordial est le fait qu’il soit défini sur un horizon temporel. Le gouvernement annonce qu’une décision sera publiée avant la fin de l’année, et cette décision d’accorder le permis ou non repose uniquement sur le président Obama. Ceci est un test évident pour le président. Qu’importe ce qu’il décidera, ce combat a allumé la mèche au sein du mouvement pour le climat et je pense que ceci va le renforcer pour les combats à venir, sans parler de tout le travail nécessaire pour mettre en œuvre les solutions !
Mongabay: Certains ont argumenté que le Canada enverra simplement le pétrole ailleurs si les États-Unis ne l’utilisent pas. Quelle est votre réponse ?
Jamie Henn: Avant que l’industrie puisse envoyer son pétrole où que ce soit, il faut que celui-ci arrive au port. Le ministre de l’Énergie, Ron Liepert, affirme lui-même que sa plus grosse crainte est de se retrouver « enclavé dans le bitume », le type de pétrole présent dans les sables bitumineux. Le Keystone XL n’est pas le seul oléoduc à faire face à une farouche opposition. Deux des gros projets de pipelines actuellement proposés à la Colombie-Britannique sont également au point mort à cause de l’opposition des autochtones et des citoyens de la côte qui se souviennent d’Exxon Valdeez et ne veulent pas voir de réservoirs géants de pétrole passer dans leurs eaux. Vous voyez, résister à l’envie d’essorer chaque goutte d’huile, de couper chaque arbre, d’extraire chaque diamant de conflits, etc. va être l’un des tests de l’humanité les plus importants de ce siècle. Prendre la bonne décision concernant les sables bitumineux est un bon début.
Mongabay: Les médias ont présenté le problème comme étant « environnement vs emplois ». Est-ce une image appropriée de la question ?
Un homme est arrêté devant la Maison Blanche. Photo de : Milan Ilnyckyj/Tar Sands Action. |
Jamie Henn: Oui et non. Soyons honnêtes : construire ce pipeline va créer des emplois. Dans leur première proposition au département d’État, TransCanada avait déclaré la création de 5 000 emplois. Maintenant, ils affirment que ce serait entre 20 000 et 200 000 et la plupart des médias les laissent dire. La question est, à quel prix ? Premièrement, prenez en compte le risque de déversement d’hydrocarbures dans la source d’eau utilisée pour l’industrie agricole du Nebraska équivalant à 17 milliards de dollars et les moyens de subsistance de tous les éleveurs et fermiers sur le chemin. Deuxièmement, comparez le coût de notre dépendance constante aux combustibles fossiles, vous feriez mieux de croire que les profits de ce pipeline seront utilisés pour faire pression contre les législations dont nous avons besoin pour développer une économie basée sur l’énergie propre dans ce pays. Troisièmement, comparez les impacts des dérèglements climatiques auxquels mènent ces sables bitumineux en feu. La liste continue. Les médias font dans le cliché, donc bien que ce ne soit pas surprenant que ceci soit devenu un débat « emplois vs environnement », c’est décevant que la plupart d’entre eux ne couvrent pas la situation d’ensemble.
Mongabay: Un certain nombre d’activistes a participé au mouvement Occupons Wall Street. Qu’est-ce que ce mouvement et l’activisme pour le climat ont en commun ?
Jamie Henn: Le weekend dernier, le porte-parole de Tar Sands Action et le fondateur de 350.org, Bill McKibben ont déclaré dans un discours à Occupons Wall Street que « la raison pour laquelle il est si important d’occuper Wall Street c’est parce que Wall Street occupe l’atmosphère. C’est pourquoi nous ne pouvons jamais rien faire en ce qui concerne le réchauffement de la planète. Exxon barre le passage. Goldman Sachs barre le passage. L’industrie entière des combustibles fossiles barre le passage. Le ciel n’appartient pas à Exxon. Ils ne peuvent pas continuer à l’utiliser comme des égouts où jeter leur carbone. S’ils font ça, nous n’avons pas d’avenir et personne sur cette planète n’aura d’avenir. » Occupons Wall Street est une bonne chose pour le mouvement pour le climat et un défi pour nous tous pour nous réunir autour de combats communs.
Mongabay: Une fois que la décision sera prise sur le pipeline, quelle sera la prochaine étape de l’activisme pour le climat ?
Jamie Henn: Eh bien, c’est déjà devenu mondial : au cours des trois dernières années, nous avons organisé, avec 350.org environ 15 000 manifestations pour le climat dans presque tous les pays à part la Corée du Nord. Maintenant, je pense qu’il faut faire plus pour prendre le problème directement à sa source. Ceci représente un certain nombre de choses : premièrement, continuer les combats partout dans le monde pour garder les combustibles fossiles sous terre, deuxièmement, continuer à suivre les traces de l’argent et à exposer les entreprises et industries qui barrent le passage au progrès. Pendant ce temps, nous devons continuer le bon travail encourageant qui consiste en la construction d’une résistance communautaire, la mise en œuvre de solutions pour le climat et le travail avec nos voisins pour concevoir un avenir durable. Vous voyez, cela a été dit avant, mais nous n’avons vraiment plus beaucoup de temps pour éviter les pires impacts des changements climatiques. S’il devait y avoir un moment pour intensifier nos efforts, prendre des risques, faire ce qui n’a pas été fait plus tôt, ce serait maintenant. Je pense que les mois et années à venir vont être très difficiles, mais passionnants.
Des lycéens s’opposant au projet de pipeline Keystone XL qui ont récemment rencontré l’assistant au secrétaire d’État, Kerru Ann Jones. Photo de : Josh Lopez/Tar Sands Action. .
Un homme emmené par la police. Photo de : Josh Lopez/Tar Sands Action.
Protestations de lycéens. Photo de : Josh Lopez/Tar Sands Action.
James Phillips, Ezekiel Perkins et Peter Roquemore associés tandis que la foule se disperse au fur et à mesure que les wagonnettes de police se remplissent. Photo de : Josh Lopez/Tar Sands Action.
Une jeune femme se fait passer les menottes et arrêter devant la Maison Blanche. Photo de : Josh Lopez/Tar Sands Action.