Nouvelles de l'environnement

Conservation innovante : soie sauvage, espèces menacées, et pauvreté à Madagascar

Des larves de papillon mastiquant une plante hôte. Photo de : Tom Corcoran.
Des larves de papillon mastiquant une plante hôte. Photo de : Tom Corcoran.


Pour quiconque travaille dans le domaine de la conservation à Madagascar, affronter les difficultés complexes de la pauvreté généralisée fait partie intégrante du quotidien. Mais avec la diminution rapide de la richesse faunique du pays—notamment des lémuriens, des caméléons miniatures et des tenrecs à l’apparence de hérissons qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde—l’archipel est devenu un champ d’expérimentation de programmes de conservation innovante axés sur la lutte contre la pauvreté persistante pour sauver les espèces en diminution et les espaces dégradés. L’ONG locale, the Madagascar Organization of Silk Workers en abrégé SEPALI, associée à son partenaire américain Conservation through Poverty Alleviation (CPALI), est l’un de ces programmes. Afin de réduire la pression locale que subit l’Aire Protégée Makira nouvellement créée, SEPALI aide les agriculteurs locaux à produire de manière artisanale de la soie à partir de papillons endémiques. Le programme utilise la célèbre faune malgache pour aider à créer des communautés plus stables sur le plan économique.




« Nous voulions essayer une nouvelle approche de conservation qui remplacerait le besoin des populations locales de récolter les ressources forestières de zones à grande valeur biologique », à confié Catherine Craig, fondatrice du CPALI, au cours d’un récent entretien qu’elle et l’équipe SEPALI/CPALI ont accordé à SEPALI à mongabay.com. L’ONG locale, SEPALI, a été fondée par M. Ratsimbazafy. “Madagascar traine une longue histoire d’extrême pauvreté, de perte de forêts, et par conséquent a un grand besoin de mesures de conservation efficaces. En réalité, Madagascar est le 13ème pays le plus pauvre du monde d’après l’Indice Multidimensionnel de Pauvreté et 80 pourcents de sa population pratiquent l’agriculture de subsistance. Malgré des millions de dollars injectés dans des programmes d’aide afin de protéger les habitats uniques de Madagascar, les efforts de conservation fournis au cours des 30 dernières années n’ont pas réussi à enrayer la perte des espèces et de leur habitat.


Jupe en soie CPALI de la styliste Tara St. James' CPALI présentée au défilé de mode de New York. Photo autorisée de Catherine Craig.
Jupe en soie CPALI de la styliste Tara St. James’ CPALI présentée au défilé de mode de New York. Photo autorisée de Catherine Craig.

L’Aire Protégée Makira, la plus grande de l’île, a été créée en 2002 par le président de l’époque Marc Ravalomanana. Le parc abrite 22 espèces de lémuriens y compris plusieurs espèces menacées telles que le Propithèque Soyeux (Propithecus candidus), le maki vari noir et blanc— tous deux apparaissant sur la Liste Rouge de l’UICN des espèces terriblement menacées— et le indri (Indri indri), listé comme espèce menacée. Le parc abrite également le Serpentaire de Madagascar (Eutriorchis astur) et le plus grand prédateur de l’île, le Fossa (Cryptoprocta ferox). Bien que perçue au départ comme une mesure de conservation à succès, même si le parc est aujourd’hui mis en péril par coupe illégale du bois, l’aire protégée a eu un impact sur les communautés environnantes.



« Les communautés qui jadis avaient accès aux ressources du parc doivent maintenant faire face à des restrictions. Bien qu’elles n’aient pas été physiquement déplacées, elles sont incapables de rassembler les ressources naturelles dont elles dépendaient auparavant et sont par conséquent économiquement déplacées » expliquent Craig et son équipe, soulignant qu’une récente étude a révélé que le taux d’anémie chez les enfants a augmenté depuis la démarcation du parc et ce à cause de la diminution des sources de protéine suite à la réduction de la chasse de la viande de brousse.



Rôle de SEPALI et importance de la production de la soie



« Nous essayons d’identifier un programme durable, respectueux de l’environnement, et générateur de revenus qui permettrait aux agriculteurs de gagner entre 60 et 200$ supplémentaires par an afin d’assurer la sécurité de l’Aire Protégée Makira.»



En utilisant trois espèces indigènes de papillon, toutes présentes dans la région, SEPALI a commencé à travailler avec les agriculteurs locaux afin de réunir des papillons à soie sauvages sur des arbres indigènes et vendre des produits uniques fabriqués à base de soie sur le marché international.


le papillon à soie, l’Antherina surak. Photo de: Catherine Craig.
le papillon à soie, l’Antherina surak. Photo de: Catherine Craig.

« Les cocons de soie génèrent une source de revenus nouvelle et durable» déclarent Craig et son équipe, « les chrysalides fournissent une source de protéines nouvelle et alternative ; les arbres abritant les papillons de soie forment une zone verte de protection autour de l’Aire Protégée Makira. Seuls 100 chrysalides destinées à produire les œufs qui produiront à leur tour 10.000 cocons au cours de la prochaine saison, soit approximativement 10 kg d’aliments riches en protéine, sont disponibles pour la consommation humaine, l’alimentation de la volaille et servir d’engrais.»



En cas de succès, le programme devrait avoir un impact écologique (création d’une zone tampon autour du parc grâce aux arbres de papillons à soie), un impact économique (sources supplémentaires de revenus), un impact sur le plan de la santé (plus de protéines), et une influence modératrice (moins de pression sur l’écosystème et la faune du parc).



« En encourageant l’utilisation d’une ‘proto-denrée’ (un bien dont la quantité est suffisamment grande pour faire la différence dans le paysage régional mais suffisamment faible pour éviter qu’il ne suscite un intérêt et une compétition industriels), nous espérons prévenir les fluctuations des prix du marché qui affectent souvent les prix des denrées. Nous procédons par le développement de divers secteurs où la soie peut être utilisée notamment les secteurs des produits d’architecture, des accessoires de mode, des produits de conception de maison et d’éclairage » confient Craig et son équipe, ajoutant que l’une des meilleures façons d‘aider le programme est d’acheter ses produits. Un échantillon de textile non-tissé utilisé dans le cadre du projet est disponible dans toutes les salles d’exposition de produits de Material ConneXion’s à travers le monde. Des images des produits sont disponibles sur wild silk markets et l’on peut passer des commandes des textiles sur source4style.



Actuellement, SEPALI travaille dans onze communautés, avec 126 agriculteurs dont plus d’un tiers ont planté au moins 250 arbres hôtes de papillons à soie.



Un plan de conservation ne pourrait probablement réussir dans un pays en proie à d’énormes problèmes de développement, une pauvreté persistante, et une explosion démographique qu’avec l’aide de programmes polyvalents tels que la SEPALI.



Dans un entretien en février 2012, Catherine Craig et le SEPALI ont présenté les objectifs de leur initiative d’élevage de vers à soie, les défis rencontrés jusqu’à présent, et l’importance de l’utilisation du « capital social » pour protéger les ressources naturelles.



Pour plus d’informations, contactez: Catherine Craig (ccraig @ cpali.org) et Mamy Ratsimbazafy (mamycpali @ gmail.com).





ENTRETIEN AVEC CATHERINE CRAIG ET L’EQUIPE CPALI/SEPALI



Fabrication de textile non-tissé à base de soie malgache. Photo de : Catherine Craig.
Fabrication de textile non-tissé à base de soie malgache. Photo de : Catherine Craig.




Mongabay: Quelles études avez-vous faites ?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: J’ai une formation en biologie évolutionnaire et en écologie. J’ai enseigné et effectué des recherches sur l’évolution de la soie avant de lancer mon projet de conservation à travers la réduction de la pauvreté.



Mongabay: Pourriez-vous résumer votre travail à Madagascar?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Dans le cadre de notre programme, nous apprenons aux agriculteurs à élever des papillons à soie sauvage (c’est-à-dire indigène) afin d’augmenter les revenus de la famille et d’améliorer l’état des terres qui jouxtent une aire protégée. L’élevage des papillons à soie favorise la plantation d’une végétation indigène dont les papillons se nourrissent. Nous ne travaillons pas dans l’aire protégée elle-même mais uniquement dans les périphéries et sur demande des habitants qui gèrent les terres frontalières. SEPALI Madagascar et son partenaire américain CPALI achètent et revendent de la soie fabriquée de manière durable conformément aux protocoles que nous avons établis. Nous consultons activement les participants afin d’adapter le projet à leurs horaires et aux ressources disponibles. Nous avons également redéfini la nature du projet afin de répondre aux demandes des participants.



Mongabay: Comment en êtes-vous arrivée à travailler à Madagascar?


Des femmes malgaches travaillant dans les champs dans la région de réalisation du projet. Photo de: Tom Corcoran.
Des femmes malgaches travaillant dans les champs dans la région de réalisation du projet. Photo de: Tom Corcoran.

Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: En 2000, nous avons décidé d’essayer une nouvelle approche de conservation qui pourrait remplacer le besoin des populations locales de récolter les ressources forestières des aires à grande valeur biologique. Madagascar traine une longue histoire d’extrême pauvreté, de perte de forêts, et par conséquent a un grand besoin de mesures de conservation efficaces. En réalité, Madagascar est le 13ème pays le plus pauvre au monde d’après l’Indice Multidimensionnel de Pauvreté et 80 pourcents de sa population pratiquent l’agriculture de subsistance. Malgré des millions de dollars injectés dans des programmes d’aide afin de protéger les habitats uniques de Madagascar, les efforts de conservation fournis au cours des 30 dernières années n’ont pas réussi à enrayer la perte des espèces et de leur habitat. Néanmoins, Madagascar demeure l’un des centres les plus importants de biodiversité et d’endémisme mondiaux et constitue par conséquent une zone prioritaire en matière de conservation mondiale.



Madagascar nous a semblé être un bon endroit pour mettre en œuvre une approche de conservation qui promettait également d’améliorer la sécurité environnementale.



AIRE PROTEGEE MAKIRA



Un maki vari noir et blanc. Photo de: Rhett A. Butler.
Un maki vari noir et blanc. Photo de: Rhett A. Butler.





Mongabay: Racontez-nous l’histoire de l’Aire Protégée Makiri à Madagascar



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: l’Aire Protégé Makira a été créée en 2002 et comprend une basse terre et une forêt tropicale de mi-altitude d’environ 371.000 hectares. Plus de 300.000 agriculteurs pratiquant l’agriculture de subsistance dépendent des ressources de l’Aire Protégée. Une étude récente a révélé que l’exclusion des populations de l’Aire Protégée Makira a conduit à une augmentation du taux d’anémie chez les enfants des familles vivant autour de l’Aire (Golden 2011). Par ailleurs, malgré des intentions louables, aucune mesure d’amélioration sur le plan de l’agriculture ou de la diversification des cultures n’a été appliqué à grande échelle depuis la création de l’Aire Protégée.



Outre son importance écologique, nous avons également identifié ce dont les agriculteurs avaient besoin pour pouvoir épargner l’aire protégée. Dans une étude de 2003, Minton a révélé que 60 pourcent des agriculteurs déplacés économiquement de Makira ont déclaré qu’ils arrêteraient de pratiquer de la culture sur brûlis dans la forêt s’ils pouvaient gagner 60$ supplémentaires par an. Par ailleurs, des agriculteurs ont confié qu’ils arrêteraient d’utiliser les ressources forestières s’ils pouvaient gagner 175$ supplémentaires par an. Nous avons donc pensé à identifier un programme durable, respectueux de l’environnement et générateur de revenus qui permettrait aux agriculteurs de gagner 60 à 200$ supplémentaires par an afin d’assurer la sécurité de l’Aire Protégée Makira. Nos modèles technico-économiques nous laissaient penser que notre initiative pouvait atteindre ce revenu. Mais nous n’avions pas pris en compte le coup d’état et l’attribution de concessions forestières aux exploitants internationaux qui a suivi.



Mongabay: Pouvez-vous nous citer quelques principales caractéristiques et espèces de ce parc?


Le crapeau tomate qui porte bien son nom. Photo de: Tom Corcoran.
Le crapeau tomate qui porte bien son nom. Photo de: Tom Corcoran.

Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: l’Aire Protégée Makira ainsi que la Péninsule de Masoala font partie de la plus grande forêt qui existe encore dans le Corridor Forestier Oriental. Elle compte 22 espèces de lémuriens—dont le propithèques soyeux l’ indri (Indri indri), le maki vari noir et blanc (Varecia variegata), le lémurien à ventre rouge (Eulemur rubriventer), le lémurien brun ordinaire (Eulemur fulvus), le lémurien à tête blanche (Eulemur albifrons), et le lémurien de bambou gris (Hapalemur griseus)—, des centaines d’espèces d’oiseaux ainsi que des milliers de variétés de plantes qui n’existent nulle part ailleurs. L’aire abrite également une grande diversité d’invertébrés parmi lesquels les non-moindre 3 espèces de papillons à soie d’une beauté époustouflante: l’Antherina suraka, l’Argema mittrei et la Ceranchia Appolina.



Mongabay: Quelles sont les menaces auxquelles fait face actuellement l’aire protégé?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Les principales menaces actuelles sont l’explosion démographique, la coupe des précieux bois de rose et ébène par les exploitants internationaux, l’exploitation des mines de quartz et des minerais, et la chasse de la viande de brousse par les bucherons pour approvisionner les restaurants. Bien que certains agriculteurs aient étendu leurs cultures en pratiquant la technique sur brûlis, la plus grande menace pour Makira en ce moment est l’exploitation du bois d’œuvre rendu possible par les concessions d’exploitation forestière internationales



Mongabay: Vous travaillez avec les communautés limitrophes du parc. Décririez-vous les personnes avec lesquelles vous travaillez de « réfugiés de la conservation » ?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: le terme “refugiés de la Conservation “ est généralement utilisé pour désigner les populations qui ont été physiquement déplacées ou exclues de leurs environnements naturels lorsque la terre a été mise à part dans le but de la protéger ou de l’inclure à un parc national. La Wildlife Conservation Society (WCS) a conçu l’Aire Protégée Makira afin qu’aucune population existante ne soit physiquement déplacée. Néanmoins, du fait de son statut d’aire protégée, les communautés qui avaient autrefois accès aux ressources du parc doivent désormais se conformer à des restrictions. Par conséquent, malgré le fait qu’elles ne sont pas physiquement déplacées, elles sont incapables de se procurer les ressources naturelles dont elles dépendaient jadis. Le fait d’être économiquement exclues de ce à quoi elles avaient libre accès fait des communautés locales des « refugiés de la conservation ». Bien que je reconnaisse et comprenne la nécessité de conserver des sites réservés à la protection de la faune, j’ai pu voir de première main que limiter l’accès ne saurait être une mesure efficace si des alternatives économiques ne sont pas offertes.



LA SOIE ET LES COMMUNAUTES LOCALES



Un autochtone lisant la revue de SEPALI. Photo de Mamy Ratsimbazafy.
Un autochtone lisant la revue de SEPALI. Photo de Mamy Ratsimbazafy.





Mongabay: Quelle est la différence entre le ‘capital social’ et le ‘capital naturel’?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Le capital naturel représente l’évaluation économique des biens et services offerts par la nature et qui répondent aux besoins de base, par exemple : de l’eau pure, de l’air pur, la pollinisation par les insectes. L’évaluation du capital naturel est essentielle à l’estimation du compromis entre les décisions économiques et environnementales qui affectent la société ; la reconnaissance du capital naturel permet aux scientifiques de mieux comprendre et participer aux prises de décisions économiques qui sous-tendent la politique environnementale.



La clé du succès des approches de sécurité environnementale basées sur l’évaluation du capital naturel repose sur l’hypothèse selon laquelle les sociétés respectueuses de la loi soutiennent un gouvernement stable, que les institutions financières existent pour effectuer les paiements financiers, et que des institutions juridiques existent pour en garantir la restitution en cas de défaut de paiement. Par ailleurs, les agglomérations doivent être situées “en aval” de l’aire naturelle qui fournit les biens et services. Dans les pays en développement où les populations locales pratiquent l’agriculture de subsistance, où les gouvernements sont instables et où les institutions financières n’existent pas, les approches de sécurité environnementale basées sur le capital naturel n’ont aucun succès.



Le capital social représente l’argent qui peut être économisé en remplaçant les contraintes et solutions physiques par des liens de coopération entre les individus et les communautés. Comme simple exemple nous pouvons citer la résolution prise par la communauté d’arrêter de jeter des ordures sur les voies de communication, ce qui permet d’économiser de l’argent dépensé pour leur nettoyage régulier.


Des enfants dans l’aire du projet. Photo de: Tom Corcoran.
Des enfants dans l’aire du projet. Photo de: Tom Corcoran.

Un autre exemple de valeur économique facile à comprendre est l’obéissance publique aux règles de conduite même en l’absence des forces de l’ordre; le bien social qui en découle (conduite prudente) résulte des relations entre individus de la communauté. Si le monde était parfait, une grande somme d’argent serait économisée si des taxes n’étaient pas nécessaires pour soutenir l’action des forces de l’ordre. En l’absence de lois appliquées et/ou de conflit, le capital social est essentiel à l’atteinte d’objectifs qui garantissent un bien social tel que la protection de l’environnement. Les réseaux sociaux sont la base sur laquelle reposent les réseaux économiques ; le capital est l’assurance que vous serez payé pour les biens que votre voisin présente sur le marché en votre nom.



SEPALI Madagascar et CPALI travaillent à développer des réseaux de capital social que nous suivons et améliorons continuellement afin de faciliter le développement économique, l’échange de biens et services, et la mise en œuvre du programme.



Mongabay: Comment utilisez-vous les entreprises d’élevage de papillon à soie au profit des communautés locales?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Le programme innovant de CPALI/SEPALI Madagascar consiste à apprendre aux agriculteurs comment élever des papillons à soie sauvages sur des arbres indigènes. Les cocons de soie fournissent une source nouvelle et durable de revenus ; les chrysalides fournissent une source alternative de protéine utilisée pour l’alimentation, la nutrition des volailles ou comme engrais ; les arbres abritant les papillons à soie forment une zone verte de protection autour de l’Aire Protégée Makira. Les agriculteurs peuvent gagner entre 30 (4.000 cocons) et 80$ (8.000 cocons) de revenus supplémentaires par an et les artisans 8$/m² de textile cousu. Par ailleurs, étant donné que les agriculteurs ont besoin uniquement de 100 chrysalides pour produire les œufs qui permettront d’obtenir 10.000 cocons la saison suivante, 3.900 chrysalides, soit environ 4 kilogrammes d’aliments riches en protéine, peuvent être utilisées pour la consommation, la nutrition des volailles et comme engrais.



Mongabay: Pourquoi utiliser les papillons endémiques?


Un Antherina suraka se nourrissant de la plante hôte, Talandoa. Photo de: Tom Corcoran.
Un Antherina suraka se nourrissant de la plante hôte, Talandoa. Photo de: Tom Corcoran.

Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Nous utilisons les papillons endémiques pour deux raisons. Premièrement, Madagascar possède une riche biodiversité et nous espérons donner aux populations rurales un aperçu de la valeur des richesses du pays et de l’importance de les protéger. Deuxièmement, malgré la variété de papillons à soie qui existe, seuls les Borocera, que l’on retrouve sur le plateau central, sont utilisés pour fabriquer les textiles. Nous faisons découvrir aux agriculteurs les papillons à soie endémiques que l’on retrouve à travers le Corridor de la Forêt Orientale et leur apprenons à élever des papillons à soie sur des arbres hôtes dans les exploitations agricoles familiales. Du fait de leur caractère endémique, ces espèces sont adaptées aux conditions environnementales locales. Etant donné leur large répartition, nous espérons qu’elles pourront résister aux effets du changement climatique. En plantant des arbres hôtes et en élevant des espèces sauvages, nous ajoutons de la valeur aux exploitations agricoles existantes et à la forêt communautaire frontalière de l’Aire Protégée Makira.



Par ailleurs, nous essayons de développer un créneau pour la soie tissée à partir de nombreuses espèces sauvages telles que l’Antherina suraka, l’Argema mittrei, le Ceranchia appolina à cause de leurs propriétés physiques et leur beauté uniques. D’autres groupes à Madagascar ont fait découvrir le papillon à soie domestiqué et ont appris aux gens à en pratiquer l’élevage sur l’arbre hôte présenté, le mûrier, pour générer des revenus. Cependant, le marché international de la soie domestiquée est dominé par la Chine. A cause de sa taille et de son éloignement des marchés, Madagascar ne sera jamais en mesure d’être véritablement concurrentielle. Les soies sauvages sont uniques et se caractérisent par leur beauté exceptionnelle. Actuellement, l’Inde produit le plus grand volume de soie sauvage au monde mais la majorité de cette production est utilisée pour la consommation interne. En comptant sur une « proto-denrée » (un bien dont la quantité est suffisamment élevée pour faire la différence dans le paysage régional mais suffisamment faible pour éviter qu’elle ne suscite un intérêt et une compétition industriels), nous espérons nous prémunir des fluctuations des prix du marché qui affectent souvent les prix des denrées. Nous procédons par le développement de diverses filières pour la soie parmi lesquelles figurent les produits architecturaux, les accessoires de mode, les produits de conception de maison et les produits d’éclairage.



Mongabay: En quoi est-ce que la culture de la soie est une activité durable sur le plan environnemental et bénéfique sur le plan économique?


Hatching Antherina suraka eggs. Photo de: Tom Corcoran.
Hatching Antherina suraka eggs. Photo de: Tom Corcoran.

Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: La culture de la soie sauvage est respectueuse de l’environnement car elle est axée autour des arbres hôtes indigènes qui peuvent être utilisés pour réhabiliter des sites dégradés et établir des forêts frontalières autour des aires protégées et des parcs nationaux. Avec l’aide de l’Atkinson Center for Sustainability de l’Université de Cornell nous initions un programme de supervision environnementale pour déterminer les effets des arbres hôtes sur les nutriments du sol et la rétention d’eau. Dans 5 ans, nous serons capables de déterminer si notre initiative a véritablement amélioré les sols.



Ce programme est bénéfique sur le plan économique car les personnes pratiquant l’agriculture de subsistance peuvent réellement doubler leur revenus (le revenu moyen étant de 70$/an; Golden 2011) s’ils produisent deux kilogrammes ou 8.000 cocons. Les chrysalides de vers à soie peuvent être utilisées pour la nutrition de la volaille, comme engrais pour les arbres ou pour la consommation humaine. C’est plus facile d’élever des papillons à soie que de défricher la forêt pour créer de nouveaux champs de culture. Nous avons conçu ce programme, ou devrais-je dire la nature a conçu ce programme, de telle sorte que les papillons à soie sont élevés au même moment de l’année où les agriculteurs sont généralement inactifs. Nous avons pensé que c’est à cette même période de l’année que les agriculteurs sont probablement entrain de défricher de nouveaux champs de culture dans la forêt. Notre objectif est que la participation à la production de la soie remplace la pratique supplémentaire l’agriculture sur brûlis



PROGRAMME EN COURS



En plein travail sur un textile non-tissé. Photo de: Catherine Craig.
En plein travail sur un textile non-tissé. Photo de: Catherine Craig.





Mongabay: Vous décrivez le programme mis en œuvre à Madagascar comme un “site- témoin”. Comment avance le programme?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Le programme avance bien. Bien qu’au début il nous ait fallu deux ans pour identifier la plante hôte locale, l’Antherina suraka, grâce à notre grande équipe (et à la générosité des donateurs privés et institutionnels) nous travaillons à présent dans 11 communautés, avec 6 groupes d’agriculteurs composés de 126 membres ; 45 de ces agriculteurs sont membres de SEPALI Madagascar (cela signifie qu’ils ont planté au moins 250 arbres hôtes). SEPALI Madagascar a également crée 6 groupes de femmes qui fabriquent des paniers et filets pour soutenir l’activité des agriculteurs. 30 de nos agriculteurs apprennent comment reproduire les papillons à soie ; nous avons comme partenaires 70 hommes et 58 femmes. Nous avons conçu un textile unique, non-tissé que nous vendons sur les marchés internationaux.



Mongabay: Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?


Des enfants dans l’aire du projet. Photo de: Tom Corcoran.
Des enfants dans l’aire du projet. Photo de: Tom Corcoran.

Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Au début, nous avons eu des difficultés avec l‘exécution du programme. Nous avons dû créer activement un « capital social » pour rassurer les agriculteurs que nous n’allions pas nous en aller. En général, nous ne payons pas des salaires mais leur offrons un espace de vente des cocons et textiles (fabriqués selon les spécifications). En formant des groupes d’agriculteurs et d’artisans leaders, nous avons pu étendre considérablement le programme. Nous avons commencé avec 12 agriculteurs en 2009 et avons progressé à 83 en 2010 et 128 en 2011. Je pense que nous avons surmonté le premier défi qui était la participation au programme. Maintenant, nous devons nous assurer que les agriculteurs sont productifs afin de pouvoir développer un marché durable et vaste.



Mongabay: Comment le programme minimise-t-il les conséquences pour les communautés locales du parc?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Notre objectif est d’éviter que les communautés aient besoin d’utiliser le parc et de leur offrir un nouveau moyen durable de générer des revenus grâce au bénéfice additionnel des suppléments de protéine/engrais. Cependant, pour que le programme soit durable, nous devrons convaincre chacun des 200 agriculteurs de produire 8.000 cocons par an. Nous devrons considérablement étendre le programme pour qu’il ait un impact sur la sécurité de l’Aire Protégée Makira.



Mongabay: Comment est financé le programme?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Le programme est financé par de nombreux donateurs privés particulièrement généreux—notamment les familles Kenney, Norvig et Barclay. Nous recevons également des financements à travers Global Giving, Network for Good, les Rufford Small Grants for Conservation Foundation, la National Geographic Society, la Fondation Fulbright, l’Université de Cornell et des dons en nature de l’Université de Harvard.



Mongabay: En quoi cela a-t-il été un avantage compte tenu des récentes agitations politiques à Madagascar?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Tous les principaux organismes internationaux d’aide ont réduit ou arrêté leurs activités à Madagascar après le coup d’état de 2009. Bien que quelques aides aient repris, aucune n’est destinée aux programmes environnementaux. Vu qu’il n’y a aucun espoir d’un quelconque soutien du gouvernement, nous dépendons complètement du soutien de la fondation et des donateurs privés. Nous sommes vraiment très chanceux. Notre objectif est de faire en sorte que le produit s’impose sur le marché, soit durable sur le plan économique et par conséquent que nous n’ayons plus besoin du soutien direct du gouvernement, de la fondation, ou des donateurs privés à l’avenir. Ceci étant dit, nous reconnaissons que des difficultés subsistent notamment au niveau de l’établissement et du maintien des marchés et nous devrons surement dépendre encore de quelques subventions pendant un certain temps.



Mongabay: Pourquoi est-ce que la conservation à Madagascar dépend de la réduction de la pauvreté?


Chrysalides and cocoons. . Photo by Mamy Ratsimbazafy.
Chrysalides and cocoons. . Photo by Mamy Ratsimbazafy.

Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: La population rurale très dispersée de Madagascar est dépendante de la culture de ressources naturelles pour sa survie. Par exemple, les personnes vivant autour de l’Aire Protégée Makira font partie de celles souffrant de pauvreté chronique, ce qui signifie qu’elles n’ont pas la possibilité de développer de nouveaux produits et de nouveaux marchés pour soutenir leurs familles. Comme de nombreux Malgaches à travers le pays, elles dépendent des ressources naturelles pour leur survie. Sans amélioration aux niveaux de l’éducation, de la communication et de l’électricité, elles ne disposent d’aucun moyen facile et rapide d’améliorer leurs vies. Sans développement économique, les Malgaches ne peuvent se tourner vers aucune institution financière pour obtenir des crédits afin de monter leurs affaires. Sans le développement des infrastructures, les produits ne peuvent être acheminés vers les marchés.



Mongabay: Si ce modèle connait du succès, peut-il être utilisé dans d’autres régions de Madagascar?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Notre objectif à long terme est de rendre ce modèle accessible à d’autres parties de Madagascar ainsi qu’à d’autres pays où les approches de conservation basées sur le capital naturel ne sont pas faisables. Les papillons à soie sauvages se retrouvent partout à Madagascar, en saison sèche comme en saison pluvieuse, dans les montagnes comme dans les basses terres. Il existe une plus grande variété aux abords des aires protégées et des parcs nationaux. Bien que la fabrication de la soie sauvage représente un marché de plusieurs millions de dollars, la compétition est faible au niveau des produits dérivés de la soie sauvage car aucun n’est fabriqué en quantité commerciale. Ce programme pourrait être appliqué ailleurs à Madagascar et serait encore plus bénéfique si la production se fait en quantités commerciales. Nous avons très vite décidé de ne pas dépendre du tourisme vu qu’il n’est pas suffisamment prévisible, durable, et étendu pour que le nombre de personnes dans le besoin y trouve son compte afin de protéger les énormes ressources biologiques de Madagascar.




Mongabay: Comment est-ce que les gens peuvent vous aider?



Catherine Craig and the CPALI/SEPALI team: Les gens peuvent nous aider en achetant (patiemment) notre textile non-tissé unique (wild silk markets; source4style; Habu Textile) pour les stores de fenêtres, les abat-jours, ainsi que pour les utiliser dans de nouveaux produits qu’ils pourraient être en train de développer. Il est essentiel que le programme soit connecté aux marchés. La reproduction du programme CPALI/SEPALI dans une autre région de Madagascar, l’établissement d’une coopération entre les maitres d’œuvre, l’échange d’idées et d’approches, un marketing coordonné et coopératif permettront d’étendre l’impact de la conservation, objectif pour lequel nous travaillons tous.


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