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A Madagascar, les changements culturels conduisent à tuer des lémuriens

 L’indri, bien que classé comme étant en danger, est l’un des lémuriens les plus couramment chassés pour la viande de brousse. Photo de  Rhett A. Butler.
L’indri, bien que classé comme étant en danger, est l’un des lémuriens les plus couramment chassés pour la viande de brousse. Photo de Rhett A. Butler.


Les défenseurs de la Nature ont souvent constaté que certaines normes culturelles, croyances religieuses et tabous jouaient auprès des peuples traditionnels un rôle de dissuasion quant à l’excessive utilisation de leur environnement. Ces croyances impliquent des jours sans chasse, sans pêche ou des espèces, des régions interdites d’exploitation. Mais le monde moderne a la capacité de faire rapidement disparaître de telles croyances, parfois pour le meilleur mais pas toujours. En de nombreux endroits de Madagascar, les lémuriens ont disparu des menus. Ces primates que l’on ne trouve qu’à Madagascar jouent un rôle important dans le “fady” malgache et les histoires traditionnelles sur les tabous: les lémuriens sont des protecteurs et même des parents en certains cas. Cependant, selon un article de PLoS ONE, l’afflux de migrants, la pauvreté étendue, le manque de viande domestique et la faible mise en application de la loi ont engendré une soudaine augmentation de consommation de lémuriens – beaucoup d’entre eux étant déjà au bord de l’extinction en raison de la perte de leur habitat.



“Nos observations laissent penser que les jeunes gens ont davantage d’argent disponible et de temps de loisir du fait du passage d’une agriculture de subsistance aux activités d’orpaillage. Ils passent en outre plus de temps dans les bars locaux à boire et manger de la viande frite,” explique la co-autrice de l’article, Julie Razafimanahaka, de l’ONG de protection locale Madagasikara Voakajy. Certaines de ces viandes frites sont du lémurien sauvage.



Beaucoup de ces jeunes gens sont des immigrants venus dans l’Est de Madagascar. Ils ont donc apporté de nouvelles valeurs avec eux, ce qui leur permet de briser plus facilement les tabous. Les missionnaires chrétiens ont eux aussi apporté de nouvelles idées, altérant les croyances traditionnelles. Un fois qu’un tabou est ouvertement brisé, il est plus facile pour les autres de faire de même.


Un jeune à Madagascar avec un indri mort. Photo ©
Un jeune à Madagascar avec un indri mort. Photo © Madagasikara Voakajy.

En enquêtant auprès de villageois dans l’est de Madagascar, l’étude a constaté que 95% des 1 154 foyers avaient consommé une espèce protégée et que 45% d’entre eux avait consommé plus de 10 espèces protégées. Bien que pour la plupart de ces foyers, le fait de manger de la viande soit rare, un quart du temps environ, un peu plus d’1% des repas effectués sur trois jour n’incluait pas de poisson mais de la viande sauvage telle que des lémuriens. Cependant, même un petit pourcentage peut faire la différence en matière de survie et d’extinction de certaines espèces.



Les lémuriens mettent du temps à se reproduire: les femelles des plus grandes espèces ne mettent bas que tous les deux ou trois ans et il peut falloir jusqu’à neuf ans aux jeunes lémuriens pour atteindre la taille adulte. Ils font aussi face à des décennies de destruction de leur habitat. L’Union internationale pour la Protection de la Nature a évalué que 47% des lémuriens étaient menacés d’extinction consécutivement à ce phénomène (une évaluation allant de “en danger critique” à “en danger”, “vulnérables” et “bientôt menacés”) tandis que la plupart des lémuriens restant (soit 44%) ont été classés comme étant des animaux pour lesquels les données sont insuffisantes, les chercheurs manquant tout simplement des informations suffisantes pour se faire un jugement. Seules, 8 espèces de lémuriens, répertoriées comme étant des espèces localement communes, sont estimées “non menacées” par l’Union internationale pour la Protection de la Nature.



En payant des locaux pour contrôler des villages, l’étude a aussi comptabilisé l’actuel commerce des lémuriens. Près de 500 lémuriens de neuf espèces différentes ont été vendus dans les villages contrôlés sur une période de deux ans. Deux espèces répertoriées comme étant en danger: l’indri (Indri indri) et le sifak couronnéa (Propithecus diadema) étant les plus communes. Grâce à ces contrôles, il a été enregistré 9 lémuriens à collier blanc et noirs (Varecia variegata) tués, une espèce répertoriée comme étant en danger critique. Tuer des lémuriens n’a pas semblé être un fait répandu dans les villages mais “les preuves obtenues par nos contrôles au niveau local donne à penser qu’un grand nombre d’indri a été tué par quelques individus possèdant des fusils et tuant les lémuriens pour les vendre.”



En tant que pays terriblement pauvre, l’un des bons points économiques de Madagascar est l’écotourisme. Cependant, sans lémurien, ce tourisme va probablement rapidement se tarir.



“L’incroyable vie sauvage de Madagascar et les lémuriens mondialement connus en particulier sont très importants pour l’avenir du pays. Ceux-ci sont beaucoup plus utiles à l’économie vivants que transformés en viande, “ déclare la co-autrice Julia Jones de l’Université de Bangor University.



Les lémuriens ne sont pas les seules espèces chassées, on en compte d’autres comme l’Hemicentetes semispinosus, les perroquets noirs, le courol vouroudriou (Leptosomus discolor) un oiseau vraiment bizarre, le renard volant de Madagascar (Pteropus rufus), le Tenrec ecaudatus et un canard au bec rouge (Anas erythrorhyncha), ces trois dernières étant répertoriées comme “espèces de gibiers”’ (ce qui signifie qu’on peut légalement les tuer) bien que le renard volant soit classé comme “vulnérable” sur la liste rouge de l’Union internationale pour la Protection de la Nature. De plus, la chasse de la tortue radiée (Astrochelys radiata) a conduit cette espèce à passer du statut d’abondance il y a peu à celui de “en danger critique” aujourd’hui. Un changement est aussi en train de s’effectuer relativement aux immuables tabous sur la chasse de ces espèces.



“Il s’avère qu’en certains cas, les règles traditionnelles qui géraient les espèces prélevées (par exemple pour empêcher de chasser les tenrecs attendantt des petits ou de piéger les chauves-souris des fruits dans des cages) ) ne sont plus appliquées avec le temps,” écrivent les auteurs.


Quelles sont les solutions?


 Les lémuriens à collier blanc et noir sont aussi une cible. Photo de Rhett A. Butler.
Les lémuriens à collier blanc et noir sont aussi une cible. Photo de Rhett A. Butler.






Des nouvelles positives ressortent des entretiens avec les foyers: la plus importante consiste dans le fait que les personnes interrogées préfèrent largement les viandes domestiques à la viande sauvage.



“Cela semble indiquer que les projets qui accroissent la disponibilité de la viande domestique et du poisson pourraient réussir à réduire la demande de viande sauvage,” écrivent les auteurs.



La déforestation a mis en danger de nombreuses espèces et causé une érosion à travers tout Madagascar. Photo de Rhett A. Butler.

On s’est jusqu’ici focalisé sur les poulets vu qu’ils sont bon marché et facile à élever.
Toutefois, les poulets meurent rapidement dans la région d’une maladie non identifiée. Des scientifiques sont en train d’étudier actuellement ce qui tue les poulets et espèrent qu’on pourra facilement y remédier.




“Si les viandes domestiques étaient élevées dans de meilleures conditions et étaient en conséquence meilleur marché, on pourrait réduire la pression sur les espèces sauvages. Il est besoin de faire de plus grands efforts pour améliorer les méthodes d’élevage animal et le contrôle des maladies dans les zones forestières,” indique le co-auteur Richard Jenkins de l’Université de Bangor.



Les auteurs suggèrent aussi qu’il est besoin de faire respecter les lois existantes pour dissuader de consommer des espèces protégées. A l’heure actuelle, tuer un lémurien est puni d’une amende allant de 5$ à 200$ et/ou d’un mois à deux ans de prison mais la loi est rarement appliquée bien que la vente des lémuriens se fasse dans un secret tout-à-fait relatif.



L’entière situation est compliquée par la pauvreté. La plupart des gens à Madagascar vivent avec moins d’1 dollar par jour et près de la moitié des enfants en-dessous de 5 ans sont malnutris.



“Le régime alimentaire des ruraux malgaches manque de protéines, alors si ces gens qui sont déjà malnutris et comptent sur la viande de brousse pour une part au moins de leur alimentation ne peuvent plus en chasser, ils souffriront de carences alimentaires accrues. Cependant, les efforts pour réduire la chasse illégale sont nécessaires afin de protéger l’industrie de l’écotourisme dont dépendent (directement ou indirectement) pour subsister de nombreuses personnes dont les ruraux pauvres,” écrivent les auteurs.



Combattre la pauvreté tout en sauvant les espèces en danger sont deux problèmes auxquels font face tous les jours à Madagascar les défenseurs de la Nature et les ONG.



L’éducation est aussi un problème. Les défenseurs de la Nature parlent souvent de la totale ignorance des Malgaches à propos du fait qu’on ne peut trouver nulle part ailleurs dans le monde de lémuriens Des efforts sont actuellement menés pour fournir une éducation environnementale et incluent une campagne publique soutenant que les lémuriens ne sont pas “de la viande.”



Mais les défenseurs de la Nature mènent une course contre la montre.



“Depuis que les hommes sont arrivés à Madagascar, beaucoup des plus grands vertébrés terrestres de l’île ont disparu, une perte attribuée pour une part au moins à la chasse. Si l’on veut éviter d’autres extinctions, il faut urgemment réduire la chasse des espèces protégées,“ écrivent les auteurs.







Une autre espèce chassée: l’Hemicentetes semispinosus. Photo de Rhett A. Butler.
Une autre espèce chassée: l’Hemicentetes semispinosus. Photo de Rhett A. Butler.





Classification des espèces de lémuriens selon la liste rouge de l’Union internationale pour la Protection de la Nature



De moindre préoccupation: 8



Bientôt menacées: 5



Vulnérables: 14



En danger: 18



En danger critique: 8



Données insuffisantes: 42



Non évaluées: 6







CITATION: Jenkins RKB , Keane A , Rakotoarivelo AR , Rakotomboavonjy V , Randrianandrianina FH , et al. 2011 Analysis of Patterns of Bushmeat Consumption Reveals Extensive Exploitation of Protected Species in Eastern Madagascar. PLoS ONE 6(12): e27570. doi:10.1371/journal.pone.0027570.



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