Un entretien avec Craig Hanson et Moray McLeish du World Resources Institute. Jeremy a conduit l’entretien; Rhett en a rédigé l’introduction et s’est occupé de la mise en page et des images.
Vue d’une exploitation d’huile de palme et de bois de construction dans la forêt tropicale aux alentours de Sabah en Malaisie. Photos de Rhett A. Buttler, 2008.
Les “terres dégradées”, ces zones déboisées des pays tropicaux qui sont inexploitées, représentent un espoir pour la sauvegarde des dernières forêts tropicales à travers le monde. Les optimistes pensent que développer l’agriculture sur ces terres aidera l’humanité à produire suffisamment de nourriture pour satisfaire la demande grandissante, sans sacrifier pour autant les forêts et la biodiversité, ni exacerber les conflits sociaux. Mais pour le moment, les terres dégradées restent une question en suspens, surtout en Indonésie, où la déforestation se poursuit à un rythme élevé. La plupart du temps, les terres dégradées ne sont pas répertoriées comme elles le devraient par les ministères indonésiens—une zone dans une province lointaine peut être listée comme terrain inutilisable par Djakarta, mais en réalité c’est une forêt verdoyante emprisonnant du carbone, habitat d’une vie sauvage et fournissant les communautés alentours en nourriture, eau et autres ressources. Désigner ces terres comme exploitations forestières ou plantations peut résulter en conflits et dégradations environnementales.
De ce fait, l’élément principal à l’exploitation utile de ces zones non-forestières, et à la réduction par l’Indonésie de ses émissions de carbone, est la localisation exacte de ces terres dégradées. Mais le processus va plus loin qu’une vague cartographie. Les preneurs de décisions doivent avoir une idée claire à propos des terres: leurs propriétaires et utilisations, leur état de dégradation et capacité à être cultivée, et la compréhension des actions requises pour la restauration de sa productivité.
Dans le cadre du partenariat Indonésie-Norvège d’un milliard de dollars investis afin de réduire la déforestation, un budget à été alloué à la cartographique des terres dégradées. Mais le World Resources Institute (WRI) avait déjà lancé un projet d’identification des zones dégradées à travers le pays avant que ce pacte n’ai été signé en Mai dernier. Travaillant avec des partenaires locaux, le WRI se concentre sur un des facteurs de déforestation les plus importants en Indonésie: la production d’huile de palme.
Expansion des zones exploitées pour l’huile de palme et perte naturelle de forêt en Indonésie et Malaisie entre 1990 et 2008 Cliquez sur l’image pour l’agrandir |
Sur les vingt dernières années, l’huile de palme a pris un poids économique énorme en Indonésie et en Malaisie. Avec son rendement important, l’huile de palme est une culture extrêmement rentable et de ce fait, les plantations se sont multipliées à travers Sumatra, Bornéo, en nouvelle Guinée et sur d’autres îles, affectant sérieusement les forêts. D’après certaines estimations, plus de la moitié de l’expansion des exploitations d’huile de palme depuis 1990 s’est faite au détriment des forêts. En absence d’actions, la tendance va se poursuivre, entrainée par une demande grandissante pour les huiles végétales.
Le WRI veut s’assurer que cette croissance future ne va pas conduire à la destruction des forêts restantes. Ainsi, ce projet de cartographie devra identifier les sites adéquats pour les “échanges de terres”, zones déboisées sur lesquelles des concessions de zones forestières pourraient être attribuées. L’initiative offrira aussi des indications aux entreprises de plantation pour obtenir l’accord préalable informé et sans contrepartie fincancière des communautés locales à la zone dégradée concernée, et recevoir la certification de la Table Ronde sur une Exploitation Durable du Palmier à Huile (RSPO).
Lors d’un entretien accordé à mongabay.com en Décembre 2010, Craig Hanson et Moray McLeish du WRI expliquaient comment cette initiative pourrait transformer les entreprises exploitantes d’huile de palme de destructeurs de forêts à protecteurs de ces dernières.
Un entretien avec Craig Hanson et Moray McLeish
Quels sont vos parcours?
Craig Hanson (à gauche) et Moray McLeish (à droite). |
Craig Hanson est le directeur du programme People & Ecosystems mis en place par le World Resources Institute. Avant de rejoindre le WRI, il était responsable de projet pour une entreprise de conseil en management international.
Moray McLeish est le responsable du projet POTICO du World Resources Institute. POTICO (huile de palm, bois de construction, gestion du carbone) regroupe et conduit un certain nombre de partenaires à mettre en place un échange de terres pour le développement de plantations d’huile de palme préférentiellement sur des terres dégradées et protéger les forêts destinées à être converties. Avant de rejoindre le WRI, Moray travaillait en Indonésie sur la conservation des forêts avec l’IFC et le Nature Conservancy.
DETERRES DEGRADEES
Qu’est-ce qu’une terre dégradée?
“Une terre dégradée” est une zone qui a été nettoyée de sa végétation naturelle, elle abrite alors une biodiversité réduite et emprisonne peu de carbone, elle n’est utilisée ni pour l’agriculture productive, ni pour l’habitation humaine. Les pâturages Alang-alang (Imperata cylindrica) sont un exemple de telles terres dégradées en Indonésie.
Notez que ces terres ne sont pas à proprement parlé “dégradées”. Ces zones n’ont pas forcément un sol de pauvre qualité. Ce à quoi nous nous référerons ici est plutôt une “couverture végétale” dégradée. L’écosystème de la zone est dégradé par rapport à ce qu’il était avant. Dans le cas de l’Indonésie cela s’applique aux forêts tropicales.
Une zone de terres dégradées, incluant alang alang, en Kalimantan Occidental en Indonésie. Photo: Sekala/WRI. |
La définition n’est applicable que dans un certain contexte. Puisque le contexte dans lequel nous travaillons; à savoir casser le lien entre le développement de l’exploitation d’huile de palme et les émissions à effet de serre; implique des politiques et actions destinées à réduire les émissions à effet de serre, la définition de “terres dégradées” donnée ci-dessus rentre dans une perspective de “forêt carbone”.
Les définitions sont importantes. Les échanges récents entre Greenpeace et le Gouvernement indonésien concernant les “définitions vagues”, conditions des terres, quelle zone peut ou ne peut pas être convertie en plantations, et les sujets liés en montre l’importance.
Les forêts secondaires qui peuvent abriter une biodiversité ou un potentiel climat, peuvent-elles être considérées comme terres dégradées?
De nombreuses forêts secondaires (ou forêts dégradées) possèdent certainement le potentiel pour accueillir biodiversité ou climat (stockage de carbone). Il est primordial que ces forêts soient identifiées et prioritaires pour une réhabilitation. Mais d’autres forêts secondaires ont pu être si affectées par le déboisement que leur restauration n’est économiquement pas possible ou non réalisable en pratique. C’est pour cette raison que des définitions claires et pragmatiques de “dégradée” sont si importantes. Elles aideront les intervenants à planifier que faire sur quelles terres et concentrer les efforts pour maximiser les bénéfices pour les populations locales, la biodiversité, l’économie, et le climat.
NOURRITURE OU FORET?
Les terres dégradées devraient-elles être restaurées en forêts ou converties pour l’agriculture?
Les décisions concernant l’utilisation des terres dégradées devront être déterminées par les pays concernés en consultation avec les communautés locales à ses terres. Les décisions devront respecter les droits existants concernant ces terres, y compris les droits d’utilisation coutumiers. Les facteurs à considérer lors de la prise de décision sur les differentes utilisations d’une terre sont: Dans quelle mesure l’expansion agricole affectera-t-elle directement la déforestation? Quel est le niveau de ressources alimentaires dans la région ou le pays? Avec quelle facilité, biophysique et économique une zone peut-elle être restaurée en forêt ou fermes? La zone dégradée en question est-elle adjacente à un court d’eau où l’érosion est un problème? Quelles sont les aspirations du pays et du REDD+ en termes de préservation? En bref, ces considérations amèneront à déterminer quel écosystème est désirable pour ces zones.
On trouve maintenant l’huile de palme dans plus de la moitié de la nourriture transformée sur certains marchés. L’huile de palme constitue un substitut aux autres huiles végétales moins cher de part son fort rendement. Dans un soucis de réduire les coûts, certains fabricants de sucreries utilisent l’huile de palme à la place du beurre de cacao dans leur produits au chocolat au lait. Photo by Rhett A. Butler |
Les réponses à ces points ainsi que d’autres questions guideront la prise de décision concernant l’utilisation optimale d’une zone dégradée particulière. Par exemple, si la croissance de l’agriculture est le facteur principal de déforestation dans un certain pays et que celui-ci s’est engagé à encadrer la déforestation, utiliser des zones déjà déboisées et dégradées comme “soupape de pression” pour l’expansion agricole prend tout son sens. Cependant, si l’expansion agricole sur les forêts n’est pas un moteur de déforestation dans ce pays mais que la raison est autre, comme l’érosion par exemple, alors restaurer les zones dégradées en leur redonnant leur écosystème naturel (c-à-d les forêts) parait plus approprié.
Et enfin, nous ne devons pas oublier que ce n’est pas nécessairement “soit/ou bien”. Certaines parcelles peuvent être restaurées en zones agro-forestières.
Puisque les terres dégradées étaient avant des forêts, certaines ne devrait-elles pas être reboisées pour la biodiversité et le climat?
Oui, certainement. Cela renvoi à notre précédent point concernant le besoin de gérer les terres afin de fournir un écosystème varié : eau douce, contrôle de l’érosion, régulation du climat, nourriture, valeurs récréatives et culturelles, etc… De ce fait, certaines zones dégradées pourraient être restaurées en forêts ou tout autre écosystème précédemment existant dans cette région, surtout si celle-ci offre un écosystème de valeur tel que de l’eau fraiche.
Quelle surface de terres dégradées pourrait potentiellement être restaurée en forêts?
Une analyse récente menée par le World Resources Institute (WRI) et certains partenaires suggère que plus d’un milliard d’hectares dégradés à travers le monde, soit une surface plus importante que celle du Brésil, offrent des opportunités de restauration de forêts. Ces terres pourraient être restaurées à leur état naturel de forêt, offrant un habitat pour la vie sauvage, une source d’eau douce propre réduisant l’érosion et combattant les changements climatiques en absorbant du dioxyde de carbone, ou offrant des écosystèmes agro-forestiers si restaurés en mosaïques.
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Certains de ces terrains pourraient aussi être cultivés. Mais déterminer exactement combien pourraient ou devraient être convertis en cultures demande une analyse plus détaillée, pays par pays, qui imposerait la question «culture de quoi?». Nous n’avons pas encore procédé à cet examen. Cela devra être un processus participatif. De plus, Il faut prendre en compte le fait que l’analyse du WRI ne porte que sur les forêts dégradées, et non sur les pâturages, marais, ou autres écosystèmes dégradés.
Comment identifie-t-on une terre dégradée qui pourrait être adaptée à l’agriculture, telle que la culture d’huile de palme?
Même si les spécificités diffèrent par culture, région, ect…la plupart des méthodes devront avant tout prôner la viabilité biophysique, économique et sociale ainsi que la disponibilité légale de la terre.
Avec ses partenaires, le WRI a développé une méthode d’identification des terres dégradées, déterminant lesquelles sont économiquement viables et socialement acceptables pour une exploitation durable de l’huile de palme, établissant la disponibilité légale pour le développement des plantations.
La figure 1 reprend les principales considérations de cette méthode :