Depuis que les hommes sont entrés en scène, la nature nous a offert une large gamme de services indispensables et gratuits : production de nourriture, pollinisation, santé du sol, infiltration de l’eau, séquestration du carbone pour n’en citer que quelques uns. Les experts en sont venus à parler de « services rendus par les écosystèmes ». De tels services, bien que d’importance vitale pour une planète habitable, ont largement été sous-estimés à l’âge industriel, du moins officiellement. Au fur et à mesure que les crises environnementales se succèdent les unes aux autres, un nombre croissant de scientifiques, d’économistes, d’écologistes et de décideurs politiques réfléchissent sur une estimation des services rendus par les écosystèmes.
« L’une des raisons importantes du rythme alarmant de la destruction de l’environnement à travers le monde est que la valeur véritable de ces écosystèmes est invisible aux yeux des marchés. Quand nous rasons des forêts ou construisons dans des zones humides, la perte des services pourtant indispensables qu’ils nous rendent n’apparaît pas dans nos bilans comptables » écrivent Ricardo Bayon et Michael Jenkins dans une tribune libre de Nature qui expose brièvement la manière dont cette estimation des services des écosystèmes pourrait fonctionner et comment certains pays ont déjà commencé à intégrer de tels coûts.
Combien cette forêt vierge tropicale au Panama vaut-elle exactement? Photo de Rhett A. Butler |
Bayon, co-fondateur de EKO Asset Management Partners, et Jenkins, président de Forest Trends prennent l’exemple de la forêt tropicale amazonienne pour montrer comment l’intégration au marché des services des écosystèmes aiderait au mieux à conserver, plutôt qu’à détruire, les écosystèmes dans le monde.
« Imaginez, par exemple, que le gouvernement brésilien introduise des lois qui obligent à fixer un prix sur les services environnementaux rendus par une forêt tropicale. La loi rendrait la destruction de la forêt tropicale plus chère, augmentant par la même occasion les coûts de production de la future activité, que ce soit la culture du soja ou l’élevage de bétail. Comme ces coûts se répercuteraient sur le consommateur, cela pousserait les gens et les entreprises à trouver des moyens de produire sans détruire l’écosystème. Dans le même temps, cela rendrait la protection des forêts tropicales plus intéressante économiquement, créant ainsi un marché de la protection de l’environnement. »
Les auteurs explorent plusieurs méthodes permettant de fixer un prix pour les services rendus par les écosystèmes, comme une surtaxe sur ceux qui utilisent des ressources naturelles afin qu’ils participent à la protection de l’environnement, ou bien encourager les entreprises privées à payer pour la préservation des ressources qu’elles exploitent. Par exemple, les entreprises de boissons devant payer pour sauvegarder les bassins hydrographiques dont elles dépendent.
« À un certain niveau, les efforts financiers volontaires venant du privé ainsi que les systèmes d’échanges sont plus efficaces que des taxes venant du gouvernement. Principalement parce que les bénéficiaires sont ceux qui doivent payer, et ceux qui payent pour l’exploitation des ressources sont plus enclins à utiliser ces ressources judicieusement. Cependant, les initiatives privées ont généralement une faible portée » affirment les auteurs.
Ils soutiennent que pour réellement changer la façon dont les entreprises et les gens tiennent compte des dons de la nature, il serait nécessaire d’instaurer des « marchés à l’échelle nationale et mondiale qui soient encadrés par les lois gouvernementales ». Leur texte fait référence à la bourse mondiale du carbone ainsi qu’au plan national des États-Unis de la réduction des dommages pour les zones humides.
« Avec ce système, une entreprise souhaitant se développer de telle sorte qu’elle va endommager une zone humide d’importance nationale va recevoir un permis seulement si elle accepte de restaurer ou d’améliorer en retour une zone humide ayant le même rôle et la même importance, au sein du même bassin hydrographique. Au lieu de s’occuper de la protection de la nature elle-même, l’entreprise peut acheter des bons de ‘réduction de dommages’ à une autre entreprise qui a déjà fait le travail » rapporte l’auteur.
Le tout jeune Office of Environmental Markets a été créé aux États-Unis afin de coordonner les marchés naissants liés aux services des écosystèmes.
Finalement, les auteurs soutiennent que la création d’un monde durable peut être aussi simple que d’attribuer une valeur marchande à la nature.
SOURCE : Ricardo Bayon and Michael Jenkins. The Business of Biodiversity. Nature. Volume 466. 8 juillet 2010.